La lunetterie italienne en plein chamboulement
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Fusion entre Luxottica et Essilor, entrée probable de LVMH au capital de Marcolin... La lunetterie italienne, deuxième au monde, est en plein bouleversement face aux évolutions du marché.
Après l'annonce de l'union de Luxottica avec le numéro un mondial des verres ophtalmiques, le français Essilor, pour créer un géant de l'optique, une autre nouvelle a supris les marchés: la très probable entrée, jusqu'à hauteur de 10 pour cent, du français LVMH dans le fabricant italien Marcolin.
LVMH souhaite ainsi "contrôler la qualité de la production" de ses lunettes, a indiqué à l'AFP une source proche du dossier, en précisant que l'accord devrait être officialisé à la fin du mois. Selon le directeur de l'Ecole de commerce de l'Université Luiss à Rome, Paolo Boccardelli, ces changements témoignent de l'évolution du marché, "en forte croissance, surtout dans les pays émergents", et "tiré par deux dynamiques".
D'une part, la nécessité d'avoir "une production au niveau mondial, avec une grande capacité d'innovation dans le processus industriel", de l'autre, l'importance de "la créativité et du design car les lunettes ne sont plus seulement un dispositif sanitaire mais aussi un objet de mode".
L'Italie est directement touchée par ce mouvement car elle génère à elle seule près d'un quart en valeur des exportations mondiales de montures et de lunettes de soleil, derrière la Chine. Et pour ce qui est du haut de gamme, elle dépasse de loin Pékin, s'octroyant 70 pour cent du marché, selon l'Anfao, l'association nationale du secteur.
La filière compte près de 900 entreprises et quelque 17.000 employés. Leur nombre a même légèrement augmenté en 2015, des entreprises qui avaient délocalisé en Chine une partie de la production pour profiter des faibles coûts de main-d'oeuvre ayant commencé à la rapatrier. D'après Carlo Alberto Carnevale Maffè, professeur à l'Université Bocconi de Milan, si Luxottica en fusionnant avec Essilor va voir son siège général partir en banlieue parisienne, la filière n'en est pas pour autant en danger.
"Même quand des groupes comme LVMH ont acheté des sociétés italiennes dans le domaine du luxe (Fendi, Loro Piana...), ils ont maintenu la production en Italie. Les Italiens ont perdu la tête de Luxottica, mais ils ne vont pas perdre les jambes".
Le pari des licences
La force de la péninsule? "Le design, la manufacture de précision qui constitue l'ADN de l'Italie", dotée de la capacité à la fois de "développer un style et de le produire d'une manière extraordinaire", estime M. Boccardelli, en soulignant le rôle des "districts", ces territoires où se concentrent des savoirs-faire comme le Belluno, près de Venise, pour la lunetterie, ou la région de Carrare pour le marbre.
L'intelligence des Italiens a aussi été de miser dès les années 1980 sur les licences, signant des accords avec de célèbres marques italiennes ou étrangères à l'image d'Armani ou Chanel, alors que les Français ont quelque peu raté ce mouvement. Pour autant, une forte dépendance à des licences peut poser des problèmes. Ainsi, en cas de confirmation de l'entrée de LVMH dans Marcolin, Safilo, le numéro deux du secteur, pourrait perdre à terme toutes les licences (Dior, Céline, Givenchy...) qu'il a avec le groupe français, soit environ 30 pour cent de son chiffre d'affaires.
Or, Safilo a déjà perdu depuis fin 2016 la licence Gucci de l'autre géant français du luxe, Kering, qui a décidé en 2014 de reprendre la main sur son activité "lunettes" en créant une entité dédiée. "Pour les marques de luxe, la qualité est essentielle. Elles ne peuvent pas laisser la production à d'autres, à moins qu'il y ait un accord fort, contraignant, permettant un contrôle", note M. Boccardelli.
La décision de LVMH d'entrer dans le capital d'un lunetier comme Marcolin - qui fabrique pour Moncler, Diesel... - "pourrait peut-être devenir une tendance" des marques de luxe, avance-t-il. Pour se prémunir d'éventuels désagréments, certains ont acheté des marques, comme Oakley et Ray Ban pour Luxottica. Mais une telle stratégie nécessite des investissements.
Le défi des industriels italiens sera aussi de savoir capter le développement d'une classe moyenne dans les pays émergents, alors que leurs exportations, après avoir bondi de 12,3 pour cent en 2015, se tassent (+4,7 pour cent au premier semestre 2016) et que de nouveaux pays comme la Corée du Sud entrent dans le jeu. (AFP)
Photo: Luxottica Facebook