« Kendall Jenner sera toujours à la mode mais, en 2026, on n'aura plus besoin de lui ressembler pour se sentir belle », Lisa White, WGSN
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À l’occasion de la présentation WGSN « L'innovation au service de l'avenir - 2026 et au-delà », FashionUnited a rebondi sur les différents thèmes en interviewant Lisa White, directrice des prévisions stratégiques et de la direction créative.
Pour commencer, quel est le pourcentage de mode dans les études WGSN ?
Lisa White : Nous avons débuté avec la mode il y a 25 ans. Elle occupe une place prépondérante dans nos études. Néanmoins, les tendances macro de consommation s’appliquent à tous les secteurs d’activité.
Selon vous, 2026 sera l’année de la réorientation. N’est-ce pas toujours un peu la même promesse de changement ?
Après le premier quart de siècle, les vieilles idées sont remises en question. De plus en plus de gens reconnaissent la nécessité d'un changement urgent dans la manière dont nous traitons nos sociétés, organisons nos industries et travaillons avec notre environnement. Concernant les marques de mode, la réorientation interroge leur façon de se comporter : quels sont leurs buts et quelles stratégies pour y parvenir ?
Vous abordez l’engouement pour les médecines traditionnelles, mais, à l’image de la mode qui s’est regroupée, ne risquent-elles pas de subir la pression des grandes puissances ?
De plus en plus de gens, notamment aux États-Unis, ne peuvent plus s’offrir la médecine allopathique. Ils se tournent vers d’autres façons de se guérir et créent, de fait, un nouveau marché. Idem pour la mode.
Quid de l’appropriation culturelle ?
Il manque des clefs aux marques pour pouvoir faire mieux. Aux États-Unis, la société Roots Studio travaille avec des indigènes pour réaliser des dessins qui sont ensuite rachetés par des marques comme Uniqlo. Ainsi, elle protège leurs intérêts économiques. Idéalement, c’est la direction qu’il faut prendre.
Qu’entendez-vous par « bioregionals-materials » ?
C’est le fait de privilégier les matériaux qui sont originaires de la région où se trouve le lieu de production. L'attitude face à la crise climatique est passée de l'urgence à l'urgence, et les consommateurs exigent désormais des comptes. Pour instaurer la confiance, les marques devront adopter et récompenser les efforts éthiques sans recourir à l'écoblanchiment.
Quid du pouvoir d’achat dans le cadre de cette « bio industrial evolution » ?
C’est du win/win. Au début, cela coute cher, puis beaucoup moins. Par exemple, aujourd’hui, on peut faire du chocolat à base de molécules et non de cacao. Côté mode, de plus en plus d’articles seront adaptés au pouvoir d’achat des consommateurs. Quand on fait attention à ne pas gaspiller, à raccourcir la chaine de production, souvent cela coute moins cher. Cela ne signifie pas que les articles ne sont pas durables.
À ce sujet, vous mentionnez le facteur « repair and resale », comment voyez-vous les choses ?
Les consommateurs 2026 voudront acheter des articles qu’ils peuvent réparer ou faire réparer. Des marques vont se positionner sur ce créneau. C’était le cas, par exemple, de Patagonia.
Votre anticipation du futur introduit le « life stage design » (l’idée que plus personne ne veut faire toujours la même chose dans sa vie professionnelle). La diversification ne va-t-elle pas tuer la spécialisation ?
La diversification ne signifie pas tout faire, mais faire ce qui est intelligent. Par exemple, on a confectionné beaucoup de vêtements en coton et, finalement, on comprend qu’il existe de meilleures solutions sur le plan écologique. On va donc le remplacer par le lin. C’est rester sur sa voie, mais s’ouvrir à d’autres façons de se comporter et substituer ce qui n'a plus lieu d’être.
Que dire des multimarques, spécialisés ou concept stores, menacés par la prolifération des enseignes ?
Certains ont perdu leur voie et doivent se forger une identité plus claire pour se différencier. À Paris, je vois de plus en plus de jeunes qui s’installent, telles des couturières de quartier.
Vous évoquez le rejet des stéréotypes esthétiques, pourtant les réseaux sociaux, et notamment avec les filtres, en sont gorgés ?
Tout le monde ne va pas les rejeter, mais, de plus en plus, des personnes vont dire « cela ne me convient pas ». À voir la diversité qui s’affiche dans les publicités et les médias, le consommateur va se sentir plus à l’aise avec ce qu’il est, plutôt que de copier ce qui ressemble à de la perfection. Kendall Jenner sera toujours à la mode, mais certaines personnes vont se dire « je n’ai pas besoin de lui ressembler pour être belle. J’ai plus confiance en moi, car je vois d’autres modèles ». Ainsi, de plus en plus d’agences de mannequinat proposent des personnes ayant un handicap. On est de plus en plus acceptable eu égard à son identité extérieure.
Vous parlez d’un multiculturalisme ascendant, pourtant, en France et dans le monde, la menace de radicaux au pouvoir est bien réelle ?
Quand les gens ont peur, ils sont plus conservateurs, mais le multiculturalisme existe, qu’on le veuille ou non.
Vous capitalisez sur « L’IA for good », pourtant cette technologie sert les intérêts de l’ultra fast fashion ?
En cette période de changement et de développement rapides, les optimistes et les pessimistes de la technologie trouveront un terrain d'entente sur la nécessité d'une approche plus équilibrée et intentionnelle de la technologie et de la fin de la désinformation virale. Nous recommandons à nos clients de bien utiliser l’Intelligence Artificielle. Il faut ce soit à bon escient. Notre rôle est de les guider dans ce sens.
À propos de « Humanize Tech », que dire des gens qui vont être remplacés par la haute technologie (entre autres par l’Intelligence Artificielle) ?
L’histoire montre qu’il y a toujours eu des métiers amenés à disparaître. Une très jolie jeune fille peut renoncer à être mannequin pour, par exemple, s’occuper des animaux. Les métiers vont évoluer, mais tout le monde n’aura pas la même aisance.
Que va-t-il se passer pour ceux qui lâchent la rampe ?
Il faut espérer que qu’un nouveau système d’éducation leur permettra de passer à autre chose. Par exemple, en Angleterre, les « blue color jackets » (autrement dit les personnes qui portent des bleus de travail) peuvent évoluer en « grey color work force », qui correspond à des métiers plus techniques, où l’on n’a pas besoin d’être là physiquement.
L'imagination de nouveaux mondes et le développement de nouveaux mots seront des outils essentiels pour nous aider à comprendre une planète en mutation et à trouver de meilleures solutions pour l'avenir. En 2026, l'imagination sera considérée comme une compétence indispensable dans la vie et dans le monde des affaires.
À noter que WGSN donnera une conférence sur le salon Maison & Objet, jeudi 5 septembre 2024, de 16 heures à 16 heures 30, sur le thème : « Prévisions d’achat : une immersion au cœur des comportements des consommateurs qui stimulent le commerce en ligne ».