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Guillaume de Seynes : « je suis confiant sur l’avenir du luxe »

Par Herve Dewintre

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Le comité Colbert a voulu lever le voile sur ses activités et ses prochaines initiatives lors d’un déjeuner organisé au Ritz. Ces agapes sous le signe de l’optimisme réunissaient la presse française et internationale. Nous étions présents. Il s’agissait de dévoiler un ouvrage baptisé « Rever 2074 », téléchargeable gratuitement sur www.rever2074.com Cette œuvre de science-fiction imagine des néologismes composant l’idiome qui désignera le luxe du futur. Il s’agissait aussi de dresser les défis qui attendent le monde du luxe dès maintenant. A savoir, l’économie collaborative, le recrutement des nouveaux talents, et bien entendu la défense des interets des maisons françaises vis-à-vis de l’Union Européenne.

Le comité Colbert, comme chacun sait, est une association fondée dans les années 50 : elle réunit désormais 81 maisons de luxe française, dont la plupart réalisent la grande majorité de leur chiffre d’affaire à l’export. Plus 40 milliards de chiffres d’affaire toutes réunies. Une association dédiée non pas simplement à la préservation des acquis et à la célébration du passé, mais à la réflexion. Elle est composée de commissions qui réfléchissent chacune à une thématique particulière : l’économie, l’aspect international, les actions avec les écoles etc. Pendant 5 années, Guillaume de Seynes qui est le patron d’Hermes a pris en charge la commission nommée « métiers et ressources humaines » qui s’intéresse à la valorisation des métiers, des savoir-faire, et qui a notamment initiée l’opération « Je filme le métier qui me plait » destinée aux collégiens et aux lycéens. Désormais Guillaume de Seynes, en plus d’être un membre important de la fédération de la Couture, est le président du Comité Colbert. Nous avons pu nous entretenir avec cet acteur de premier plan du luxe parisien, ainsi qu’avec Elisabeth Ponsolle des Portes, déléguée générale du Comité Colbert qui met en œuvre la stratégie de l’association avec l’équipe permanente du comité dont elle est également le porte-parole.

Quels sont les défis du luxe pour demain ?

« Nous avons souhaité détailler aujourd’hui trois défis, dit Elisabeth Ponsolle des Portes. Le premier concerne le défi de l’avant-garde, le deuxième la prospective. Le troisième est l’exception européenne. Le luxe est l’une des clés de la personnalité européenne. L’industrie européenne des biens de qualité est un champion mondial à l’export avec 75 pour cent des biens de qualité fabriqués et exportés depuis l’Europe dans le monde. Un secteur à haute valeur ajoutée qui aurait dû être laminé par les pays à bas couts de main d’œuvre mais qui a montré sa résilience : nous sommes une anomalie pour les économistes. Une résilience due à son positionnement haut de gamme et sa stratégie de développement vers les économies en croissance. »

Comment mobiliser nos décideurs européens, pour les inciter à ne pas prendre des mesures mortifères pour notre secteur ? « La réponse à cette question a pris la forme de deux initiatives parallèles, dit la déléguée générale. La première a été de créer au sein du comité une nouvelle catégorie de membres. Ces membres viennent non pas de France mais de différents pays d’Europe : Delvaux, Herend, Moser, Zolotas, Riedel etc. L’autre initiative a été de s’unir avec d’autres associations équivalentes au comité Colbert qui sont en Angleterre, en Allemagne, en Espagne, en Italie.

L’union fait la force en somme ? « En allant voir les autorités européennes, nous ne sommes plus simplement les petits gaulois, dit Guillaume de Seynes. Le luxe est un sujet qui intéresse de nombreux pays. La commission européenne est composée d’une multitude de personnalités. Evidemment si vous vous trouvez face à un commissaire polonais ou tchèque, celui-ci aurait peut-être une oreille non pas forcément plus bienveillante mais attentive en tout cas, que si nous représentions simplement des intérêts français ».

« Nous intervenons sur plusieurs sujets. Je vais avec Elisabeth à Bruxelles bientôt, mais les sujets essentiels sont toujours : la propriété intellectuelle – c’est un sujet sans fin, la législation française est plutôt au point, mais cette législation n’est pas la même dans tous les pays. Il y a aussi tout le sujet de la distribution sélective. Et notamment l’évolution de la distribution vers les plateformes digitales. C’est un sujet très actuel sur lesquels nous avons des choses à dire. Nous considérons notamment que certains grands hébergeurs ne sont pas assez vigilants, et on ne les pousse pas à être vigilants, sur les problèmes de contrefaçons. Un autre sujet nous intéresse beaucoup, car toutes nos maisons sont exportatrices, c’est les conditions d’accès au marché. On a l’impression que le monde s’est complétement ouvert. Ce n’est pourtant pas tout à fait le cas : il reste des pays assez fermés, assez compliqué, l’Inde par exemple. Mais il y a aussi des pays où des questions de règlementations locales, des quotas, brimer certaines maisons du comité Colbert, c’est le cas au Japon dans le domaine de la chaussure par exemple. Toutes les négociations internationales sont portées désormais au niveau européen. Ce n’est plus le fait d’un gouvernement ou d’un autre.

Est-ce que le protectionnisme augmente ? « Je ne dirai pas ça de cette façon, dit Guillaume de Seynes. Ce sera une norme locale qui change et qui brime tout à coup l’accès au marché : j’ai l’exemple en tête de la teneur en plomb utilisée pour les ceintures. Jusqu’à maintenant c’est à peu près la même norme qui prévalait pour l’Europe ou les Etats-Unis, et tout à coup, un marché important en Asie (le Japon Ndlr) a adopté une norme dix fois plus sévère, avec effet immédiat ». Dans cet exemple cité - le japon qui est un pays ouvert, et la chaussure - cela ne peut être que l’effet d’un lobby intérieur.

Made in the world ?

Le sujet du made in. Certaines marques veulent que l’on communique sur la provenance de leur produit, d’autres non. Il n’y a pas de consensus, ni de philosophie commune à ce sujet chez les grandes maisons de luxe. Spécialement chez les marques de voiture allemande qui, de l’avis général, ont tout fait pour enterrer ce sujet. Le consommateur pourtant porte un intérêt de plus en plus vif au made in. N’y aurait-il pas un intérêt de porter ce sujet à Bruxelles ? Ce serait un test frappant de la puissance réelle du lobby du luxe. Réponse du président du comité Colbert : « je ne pense pas qu’il y ait de consensus à ce sujet, notamment chez les maisons italiennes, pour pouvoir défendre ce dossier d’une seule voix. La position du comité, c’est de respecter la loi française qui donne d’importants critères concernant la transformation essentielle du produit. Après, est ce que c’est un sujet à durcir ? Je ne sais pas. Prenons l’exemple du Swiss made : une montre peut être considérée comme Swiss made si elle est faite à 60 pour cent en Suisse. Faut-il durcir ou pas ? Personnellement cela ne me dérange pas puisque chez Hermès, les montres sont 100 pour 100 faite en Suisse, à l’exception du bracelet».

« Les fonctionnaires et les commissaires au sein de l’Union Européenne sont davantage à l’écoute de nos revendications depuis le Brexit, dit Elisabeth Ponsolle des Portes. Le sujet sur lequel nous travaillons beaucoup activement concerne la distribution de nos produits, dans le cadre du droit à concurrence. Il y a un règlement passé en 2009 qui nous permettait de conserver le choix de nos distributeurs dans le secteur du luxe. Cela était une évidence pour tout le monde : on doit pouvoir avoir le choix de son distributeur. C’est ce que nous avons réussi à conserver dans le cadre de ce règlement mais une série de jugements qui interviennent dans les cours allemandes est venue se conjuguer avec une enquête de la direction générale Concurrence de la commission européenne pour savoir comment l’Industrie de manière générale, envisageait l’e-commerce. Nous sommes très vigilants à ce sujet-là car il nous apparait primordial de conserver cette liberté de choix. Nous souhaitons pouvoir refuser nos produits à un distributeur sur le net si l’environnement qu’il déploie ne nous parait pas adéquat avec la philosophie de nos maisons ».

Est-on dans un trou d’air du luxe ? « Je ne vais rien inventé en disant que la période est tourmentée, dit le président du comité Colbert. Il suffit de voir les chiffres des uns et des autres. Ce secteur a été porté depuis 20 ans par l’émergence d’un certain nombre de marchés, dont certains sont devenus majeurs pour nous, et la croissance, notamment de la Chine mais pas seulement, est un peu moins forte aujourd’hui. Nous sommes confrontés comme d’ailleurs l’ensemble de l’économie française liée au secteur de l’exportation à l’échelle mondiale, à la brutalité d’un certain nombre de phénomène qui semble s’accélérer : que ce soit les attentats, les épidémies médiatisées à l’extrême comme celles qu’il y a eu en Corée l’année dernière ; ou que ce soit les problèmes monétaires qui peuvent être extrêmement soudains, comme le franc suisse il y a deux ans. Nous trouverons des solutions, l'industrie du luxe inventera des produits qui n'existe peut etre pas encore et trouvera des moyens pour continuer à faire rêver. Le gout du beau, l'aspiration à la qualité sont universels,et il n’y a pas de raison que les nouvelles générations n’y succombent pas. Je suis confiant en l'avenir". Le porte-parole du comité Colbert enchaine : « La réaction du Comité Colbert par rapport à ces événements c’est une réaction d’optimisme. Nous organisons pour la fin de l’année un évènement qui tendra à montrer que, voilà, Paris est toujours une fête. C’est une manière de rebondir et de résister à cette atmosphère que certains voudraient nous opposer.

Crédit photo : Rêver 2074, une science fiction éditée par le comité Colbert. Photo Quentin Bertroux, comité Colbert.

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