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Groupe Royer et Kickers : L'échec du « Tout Wholesale » : quand le modèle rencontre le plafond de verre du digital

L'annonce du redressement judiciaire du Groupe Royer, maison mère de marques comme Kickers, résonne comme un signal d'alarme pour l'ensemble de l'industrie de la chaussure. La crise n'est pas seulement financière ; elle est, selon Vincent Redrado, CEO et fondateur de DNG (Digital Native Group), la conséquence inéluctable d’un modèle commercial insuffisamment adapté aux exigences actuelles du marché.

« Royer, c'est un modèle qui est différent... On est sur quelque chose de très commercial. Qui est totalement dépersonnalisé, qui est 100 % wholesale ou pratiquement 100 % wholesale », observe Vincent Redrado. La difficulté principale réside dans une équation économique devenue impossible. Le modèle de la distribution historique via multimarques en centre-ville s’érode, tandis que les marques mass market sans image forte ni innovation se retrouvent démunies dans un contexte où la bataille sur le prix est perdue d'avance.

« Malheureusement, l'utilitaire aujourd'hui se bat sur le prix et on ne peut plus se battre contre les acteurs chinois sur le prix. Ce n'est plus possible. »

L'absence d'une stratégie digitale forte et le manque d'expérience client ont aggravé la situation, menant le groupe à un point de rupture.

L'impératif de l'hybridation : le parcours client est devenu « 100 % multicanal »

Le redressement judiciaire n'est pas une liquidation, rappelle Vincent Redrado. Il offre une fenêtre pour geler les dettes et envisager un plan de continuation. Mais la relance ne pourra se faire qu'en brisant l'ancien modèle.

L'idée n'est donc pas de copier Nike en passant au « tout direct-to-consumer (D2C) », mais de trouver le juste équilibre : l'hybridation des canaux est la seule voie de la pérennité.

« Le sujet, ce n'est pas d'être, comment je fais pour être à 100 % D2C ? Ou comment je fais pour être 100 % wholesale ? Mais comment j'ai un équilibre entre mes différentes [canaux] », explique Vincent Redrado. « Le parcours du consommateur est devenu 100 % hybride. »

Le client achète désormais où et quand il veut, il est volatile. Il navigue entre le site de la marque, Amazon, un e-retailer, ou la boutique physique. Le tout digital atteint un plafond de verre, tout comme le tout wholesale mène à la défaillance.

L'équilibre entre retail, e-commerce, marketplaces et revendeurs n'est donc plus tant un choix qu'une obligation.

L'impératif de la priorisation : choisir, c'est renoncer

Face à cette structure endettée, la priorité absolue est de renoncer à l'ancien portefeuille. Le groupe Royer doit opérer un recentrage drastique pour ne conserver que les marques qui contribuent positivement à la marge et à la rentabilité.

« Ma priorité absolue, c'est d'où vient mon chiffre d'affaires ? Quelle marque contribue à la marge et à la rentabilité ? », insiste Vincent Redrado.

Ce choix passe non seulement par la coupe des marques peu performantes, mais aussi par la monétisation des actifs de valeur pour renflouer la trésorerie. C’est dans cette logique que la cession de la licence New Balance en 2021 peut être comprise : « À un moment, je vais perdre le contrat de licence, autant la vendre et faire un bon coup. » Cette vente a servi de levier pour se désendetter et se sécuriser, un mouvement que le Groupe Royer devra accentuer. Les marques conservées devront bénéficier d’un investissement massif en digital, en offre et en désirabilité.

Or, toute accélération dans le digital et la personnalisation bute aujourd'hui sur un obstacle structurel : la non-maîtrise de l'information client.

Opacité des données : quand le wholesale empêche le pilotage de la croissance

Et à cet égard, le problème le plus critique du modèle wholesale à 100 % est le manque de maîtrise de la donnée client. C'est le frein majeur qui empêche tout pilotage de croissance ciblé.

« Le problème du tout wholesale, c'est que ça va à l'encontre de la tendance dans le sens où il ne maîtrise pas la donnée. C'est presque pire que tout — on fait la croissance certes, mais on ne sait pas d'où, on ne sait pas comment », alerte Vincent Redrado.

Sans donnée, toute action marketing est réalisée à l'aveugle. Le manque de lien direct avec les consommateurs empêche la personnalisation de l'offre et l'optimisation des actions commerciales.

Il est pourtant possible de contourner cet obstacle, comme le montre l’exemple de la marque Kabaya qui parvient à récupérer 80-90 % des emails de ses acheteurs via ses revendeurs, en créant une logique d'engagement direct (par exemple, via la garantie ou le service après-vente). Cette donnée est la clé de la relance durable et de la fidélisation, précise Vincent.

Le cas Kickers : la double peine du marché enfant

Et qu'en est-il du cas spécifique de Kickers ? La chute de la marque est exacerbée par les spécificités du segment des chaussures pour enfants, où elle est historiquement forte.

D'une part, la sensibilité au prix. Le marché enfant est très sensible au prix car les enfants grandissent vite, rendant l’achat rapidement utilitaire.

D'autre part, la faible fidélité. Les parents, cherchant à dépenser le moins possible, affichent une faible fidélité aux marques.

Ce contexte rend le mass market enfant particulièrement vulnérable à la concurrence des acteurs low cost chinois. Kickers subit donc la double peine : un modèle de distribution défaillant et un marché naturellement difficile.

De plus, la marque ne contrôle pas sa donnée, et le manque de moyens financiers limite sa capacité à déstocker en ligne, la laissant dépendante de revendeurs eux-mêmes en difficulté. C’est un cercle vicieux qui accentue la difficulté de relance. Pourtant, c'est précisément sur ce segment que la seconde main représente un levier immédiat. En offrant aux parents une solution pour rentabiliser rapidement des achats rapidement dépassés par la croissance des enfants, le re-commerce pourrait offrir aux marques un moyen de fidéliser une cible autrement volatile.

Les trois priorités absolues pour un redressement viable

La procédure de redressement de Royer, pour avoir une chance d'aboutir à un plan de continuation viable, doit se concentrer sur trois axes fondamentaux, selon Vincent Redrado :

Alléger les coûts fixes

La décision douloureuse Le premier impératif est complexe mais nécessaire : réduire drastiquement les coûts fixes pour stabiliser la trésorerie et subvenir aux paiements des charges courantes malgré l’endettement. « Alléger les coûts, les coûts fixes. C'est malheureux, mais c'est obligatoire, » martèle Vincent Redrado.

Digital et data

Recréer un lien direct Le deuxième axe est l'investissement immédiat dans le digital. Il faut sortir de l'opacité du wholesale en montant en puissance sur le e-commerce et sur les outils de captation de la donnée client. L'objectif est de recréer un lien direct avec les consommateurs et de maîtriser les actions marketing.

Positionnement clair : savoir à qui l'on parle

Enfin, les marques conservées doivent clarifier leur positionnement marketing : « On parle à qui, pourquoi, pour quels bénéfices, pour quels usages. » Un positionnement flou affaiblit la désirabilité des produits.

Quand le temps est la marge

L'enjeu ultime du redressement est de gagner du temps. Comme le souligne Vincent Redrado, sur un marché volatile, le temps se traduit directement en cash disponible et en marge par commande.

« Le temps aujourd'hui, ça compte beaucoup. Dans une visibilité business très incertaine, dans une équation économique qui est franchement compliquée, avoir du temps, c'est important. »

La crise du Groupe Royer n'est pas l'échec de la chaussure ; c'est l'illustration, pour tout le marché footwear, que l'ère de la vente sans connaissance client est révolue. La seule voie de la pérennité est de choisir de renoncer à l'ancien modèle pour accélérer sur les actifs les plus rentables.


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