"Gérant de paille" et liasses d'espèces: le blanchiment entre Europe et Chine en procès à Bobigny
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Bobigny (France)- "Lui c'est mon gérant de paille": l'irrégularité des affaires est apparue sans fard au tribunal correctionnel de Bobigny, qui juge depuis mercredi 19 hommes et 9 sociétés pour le blanchiment de plus de 65 millions d'euros via le centre de grossistes chinois d'Aubervilliers.
Lancée en 2021 par quatre signalements successifs de Tracfin, une information judiciaire en Seine-Saint-Denis a mis au jour l'existence de deux structures frauduleuses présumées au milieu d'une myriade de sociétés fictives éparpillées entre la France, l'Europe et la Chine.
Keqiang Z. est le premier à répondre au tribunal qui va oeuvrer, jusqu'au 27 septembre, à éclairer l'opaque écosystème mêlant des sociétés françaises, européennes et chinoises.
L'homme de 37 ans est accusé d'avoir blanchi 29,5 millions d'euros entre des sociétés italiennes et chinoises dans le cadre d'un circuit de fraude à la TVA.
"Tous les flux qui viennent de France sont illégaux, tous les flux venant d'Italie sont légaux", répond-il sans détour à la juge.
Des autres prévenus assis dans la salle qu'il parcourt des yeux, il n'en connaît que trois. "Lui c'est mon gérant de paille", ajoute-t-il quand la présidente du tribunal cite un nom lié à l'une de la douzaine de sociétés françaises qu'il dirige.
165.000 euros en espèces au bureau
Les 150.000 euros en espèces dans son bureau, situé dans le Centre international de commerce de gros France-Asie d'Aubervilliers (Cifa) ? "Ce sont des donations de mon mariage qui a eu lieu six mois avant" la perquisition, assure-t-il en précisant le montant: "165.000 euros, uniquement en espèces".
Regroupant plus de 250 boutiques et sociétés, le Cifa est réputé dans les services d'enquête comme l'une des plaques tournantes du blanchiment d'argent en Île-de-France.
"En première comparution, vous aviez dit que c'était l'argent du blanchiment", rappelle la juge.
"Je n'ai jamais dit ça", dément le prévenu, qui peine le plus souvent à fournir des réponses compréhensibles aux questions du tribunal.
Son interrogatoire va se poursuivre durant toute la journée de jeudi. A ses côtés dans le box, Chérif H. sera questionné lundi matin.
La justice soupçonne cet homme de 45 ans d'avoir animé une officine qui aurait blanchi 37,6 millions d'euros entre janvier 2020 et avril 2024 dans le cadre d'un système de "décaisse".
Selon l'instruction, à travers plusieurs sociétés sans activité économique réelle, cet "apporteur d'affaires" déclarant un revenu officiel de 2.000 euros par mois recevait des virements de véritables entreprises en échange de fausses factures.
Les fonds étaient ensuite répercutés de société en société, rebondissant à travers divers pays d'Europe, avant de terminer sur des comptes en Chine continentale et à Hong Kong.
La plateforme de Chérif H. récupérait alors l'équivalent en espèces auprès des commerçants de la communauté chinoise de Wenzhou (sud-est de la Chine) implantés dans le vaste complexe de vente en gros de prêt-à-porter d'Aubervilliers.
Les grossistes y disposent d'importantes quantités de liquidités provenant de ventes non déclarées, pour éviter d'avoir à régler la TVA.
Le cash était enfin remis discrètement dans un sac par les services de Chérif H. au patron de société à l'origine du premier virement, moyennant une commission de 15-20% de la plateforme de blanchiment.(AFP)