Gaetan Goiran (concept store Lulli) : « On ne sauve pas des vies, mais on a un rapport humain qui est très fort »
loading...
Dans le secteur de la mode, les acteurs du wholesale tirent leur épingle du jeu grâce à une curation soignée et une expérience client travaillée. Gaetan Goiran opère pour l’un de ces commerces à l’identité marquée : le concept store Lulli, multimarque établi en France. Présent sur le terrain du retail et connecté aux marques du moment, le directeur commercial et de la communication connaît aussi bien les tendances à venir que les envies des clients.
Quel défilé femme du printemps-été 24 vous a le plus marqué ? Lequel s’annonce comme une réussite commerciale ?
Gaetan Goiran : Deux shows m’ont particulièrement touché, ceux de Rabanne et Zimmermann, deux marques heureusement disponibles chez Lulli. J’ai cette vision d’un show très poétique et voluptueux chez Zimmermann. Le show m’a embarqué, j’ai vu des anges sur le chemin du paradis, c’était incroyable ! Chez Rabanne, ce qui m’a interpellé, c’est la prouesse stylistique de réussir à se réinventer avec des codes identitaires. On avait l’impression de se retrouver au Moyen Âge mais dans le futur. Toujours plongé dans leur ADN du début à la fin, avec une relecture du talentueux directeur artistique Julien Dossena. Pour moi les deux vont cartonner, les pièces vont rester des it-pièces sur le long terme, c’est certain ! La robe t-shirt cassée avec la jupe signature en métal va faire sensation, sans surprise !
Quelles sont les catégories mode qui seront particulièrement populaires pour la saison 2024 ?
Selon moi, en accessoire, le micro-sac reste un incontournable, on le retrouve chez Ami, Marni, Ganni. Puis, il y a le retour incontestable de la ballerine, sous toutes ses formes, iconique et ultra-féminine, à découvrir chez Ayede, Miista et aussi Repetto ; sans oublier le maxi manteau que la marque Liberadd, une griffe coréenne, imagine à la perfection.
Sinon, sur l'été, on est dans la continuité du tailoring avec notamment une déclinaison de la chemise : robe-chemise, en crop-chemise, avec col, sans col, etc. Il y a aussi énormément d'animations sur les robes : sequins, broderie, etc. J'ai l'impression qu'on est venu mettre une surcouche sur des choses assez basiques. On prend une chemise blanche, mais on l'agrémente d’une maxi broderie. On est venu habiller le côté classique de certaines pièces.
Pour moi, la femme de l’été 2024 c'est la femme Miu Miu : un petit look audacieux, explosif qui respire l'optimisme.
Comment les préférences des consommateurs ont-elles évolué ? Que viennent-ils chercher en boutique ?
Aujourd'hui, on est dans une conjoncture économique pas simple. Le client, ce qu'il cherche surtout c'est créer du lien, passer un moment positif, quelque chose qui va le mettre un petit peu hors du temps. Bien évidemment, on vend des produits, ils viennent chercher une tendance ou autre, mais aujourd’hui, le client a avant tout besoin de concret, il a besoin de se rassurer, il a besoin de valeurs. Chez Lulli, on a la chance d'avoir un panel de marques incroyables, mais avant toutes choses, on cherche à véhiculer de la bienveillance et on n'est pas dans le jugement.
Nous, on se revendique comme de grands magasins à taille humaine avec un accueil et un lien avec notre clientèle, parce que je pense qu'aujourd'hui, c'est le plus important. Après, bien sûr, il y a le diktat des marques, des tendances, des réseaux sociaux. C'est sûr que c'est plus simple de vendre des sneakers quand tu as des New Balance sur l'étagère parce que c'est rassurant, c'est une valeur sûre, c'est tendance. Tu sais que quand tu mets ça aux pieds, ça va matcher avec n’importe quelle tenue. Bien évidemment qu'il y a cet aspect-là, mais ça, tout le monde le sait. Je préférerais insister sur ce qui fait la différence. La mode, ça fait du bien au moral, mais en même temps, ça fait du mal à l'écologie. On sait que tout le monde cherche à faire au mieux. Aujourd'hui, quand on achète des marques de jean, on a un background sur comment est délavé le jean. Avant, ça n'existait pas, on cherchait même pas à comprendre. Aujourd'hui, les gens sont fiers – notamment des grosses marques comme Citizens of Humanity ou Golden Goose – de te dire que leur eau est recyclée.
« On est là pour faire du business (...) pour faire de belles ventes, mais pas à n'importe quel prix et pas n'importe comment. »
Je trouve que ça amène une valeur supplémentaire. On est là pour faire du business, on est d'accord, on est là pour faire de belles ventes, mais pas à n'importe quel prix et pas n'importe comment. Après, on ne se revendique pas sauveur de quoi que ce soit, on ne sauve pas des vies, on vend des fringues. Mais pour autant, on a conscience de ce qui se passe autour et quand je rentre une marque j’ai besoin d’avoir plus d'infos qu'avant : depuis quand la maison existe, comment c’est fabriqué, qui travaille, si c'est une entreprise familiale, etc. Ce sont des choses qui n'avaient pas lieu d'être avant. Et je me suis rendu compte, j'ai cette chance d'être aussi sur le terrain, que les clients sont sensibles à ça. Ils sont de plus en plus regardants et quand ils payent quelque chose, ils ont besoin d'avoir un petit service supplémentaire parce que, comme je le disais, économiquement, ce n'est pas simple pour tout le monde. On a la chance d'être sur un secteur d'activité qui continue d'exister et qui donne envie, même si c'est plus compliqué qu'à certaines périodes. En boutique, on reçoit énormément d'affection, d'attention. Et ça, ce sont des choses qu'il faut continuer à faire perdurer, même si on ne fait que de la mode.
Justement, comment se passe la sélection d’une nouvelle marque ?
Ce qui est rigolo chez Lulli c'est qu'on a de grosses marques, bien évidemment, avec de gros partenaires, mais on a aussi énormément de petits créateurs qui se lancent, que ce soit en bijoux ou autre. C'est une belle opportunité pour eux et c'est souvent, surtout, une rencontre humaine.
Je suis souvent sollicité par des marques et j’ai toujours un minimum la curiosité d'aller voir ce qu'ils font et de leur répondre. Parce que ce n'est pas évident quand tu te lances, que tu n'as pas de nom, tu ne sais pas de quoi demain pourra être fait. Du coup, j'ai toujours tendance à regarder. Cela part aussi bien d’une histoire humaine que de l’attente de nos clients qui nous demandent : « Pourquoi on n'a pas cette marque ? Pourquoi on ne retrouve pas cette marque dans cette ville ? », etc. Tout ça conduit à avoir une réflexion, à contacter une marque X ou Y. Mais c'est avant tout l’idée de proposer le meilleur produit au bon endroit, de raconter une jolie histoire, de faire rêver.
Moi, je suis ravi de refaire découvrir à d'anciens clients de Patou, le nouveau Patou. Car la maison reste la même, mais les codes ont été revisités par Guillaume Henry pour proposer quelque chose dans l’air du temps et toujours très mode. Là, on rentre Clarks. Sur le principe, aucun rapport avec Lulli. Mais j'ai parlé avec le directeur commercial autour d’un déjeuner, il m'a expliqué l'histoire de Clark's – que je ne connaissais pas, bien que tout le monde connaisse la marque – m’a raconté que c'est une boîte qui appartient toujours à la même famille depuis 300 ans, que c'est l'inventeur du pied droit et du pied gauche, qu’elle a été portée par les plus grandes icônes mode, rock du monde, et tout ça sans marketing aucun. Je trouve cela remarquable.
Il y a donc toujours un contexte différent. Il s’agit de donner une chance à une nouvelle marque, de faire découvrir et d’avoir quelque chose à raconter à nos clients. C'est un mix. Il y a beaucoup d'humains et beaucoup de sentimentalisme autour de tout ça.
Comment les facteurs économiques, sociaux, politiques ont pu récemment impacter vos choix d'achat ?
Comme je disais, on ne se sauve pas des vies, mais on a un rapport humain qui est très fort. On est le nouveau « coiffeur », parce que les coiffeurs, ça se perd, ce ne sont plus que des chaînes. Nous, on reste une entité fixe. On a 12 magasins maintenant dans des villes très ciblées. On est un lieu de vie. On vend du parfum, du mobilier, on ne se met aucune barrière, on est un véritable concept store !
On a six à huit mois d'avance. Si je commence à regarder ce qui se fait au niveau de l'actualité, honnêtement, j'achète plus rien. Donc j'essaye de rester sur ma ligne de conduite en me disant « T'inquiète pas, fais ton boulot, fais que tes équipes soient au rendez-vous et derrière, ça nous sourira » parce qu'on a la chance d'être sur un segment qui n’est pas trop impacté. On n’est pas sur le segment du grand luxe, le grand luxe explose, mais on n’est pas bas de gamme non plus. On est sur du contemporain, sur une classe de clients qui s'en sort pas trop mal et du coup, si on leur fait une meilleure proposition, un meilleur accueil qu'ailleurs, ils vont continuer à venir. On a un réseau de boutiques physiques qui fonctionne très bien ainsi qu’en digital.
Après, ce qui nous impacte le plus, et il faut s'en servir comme une force, ce sont les réseaux sociaux, notamment Instagram, Pinterest ou TikTok. Ce sont de vrais outils de travail. Ça a cassé certaines barrières parce que les marques peuvent être contactées en direct. Pour peu qu'elles aient un peu de goût, on se rend compte très rapidement si une marque a du potentiel. Il y a aussi l'influence des médias et des tendances culturelles. Par exemple, l'exposition sur Basquiat et Warhol, forcément, à un moment donné, je sais que ça va faire écho à la communication ou à l'actualité culturelle du moment. C'est notre métier de se servir aussi des infos entrantes.
Pouvez-vous nous parler des collaborations et partenariats de Lulli pour la saison printemps-été 2024 ?
Lulli rentre dans une nouvelle ère et enrichit son catalogue de marques que l’on appelle « créateurs ». En plus d'Isabel Marant, Zimmermann, Patou, Marni, nous sommes très heureux de collaborer cette année avec Rabanne, dont le show PE24 était incroyable, ou encore JW Anderson et Proenza Schouler pour une nouvelle offre de chaussures. Ces nouvelles collaborations marquent un nouveau virage chez Lulli pour l’été prochain. Pour autant, nous souhaitons continuer à proposer une offre large et accessible, car Lulli s’adresse à toutes les femmes.