Fashion Revolution avril 2023 : un évènement activiste pour faire bouger la mode
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À la veille du 25 avril 2023, jour où la Commission européenne doit voter une loi sur le devoir de vigilance des entreprises de mode donneuses d’ordre, l’organisation Fashion Revolution France a réuni, au Forum des Images, des intervenants engagés pour une mode éthique et durable. Reportage.
L’événement débute sur une minute de silence pour les victimes de la mode, les vraies, pas les fashion victims, mais celles de l’accident du Rana Plaza, au Bangladesh. Puis Catherine Dauriac, présidente de Fashion Revolution France, rappelle quelques chiffres sur ce pays qui souhaite devenir le premier producteur mondial devant la Chine - 4000 usines, 80 pour cent des vêtements fabriqués exportés, représentant 80 pour cent du PIB soit 41 milliards de dollars en 2022 – et évoque la signature du Bangladesh Pact, un partenariat pour une industrie textile plus propre.
Elle n’hésite pas à nommer ceux qui refusent encore de le signer, « les douze salopards » comme les a nommés la Clean Clothes Campaign (Eko) parmi lesquels : Amazon, Ikea, l’association familiale Famille Mulliez (Auchan, Decathlon), Levi’s, etc. Après cette introduction, le ton de la matinée est donné : il s’agit bien de révolutionner les systèmes de la mode et non d’essayer de se conformer à un « capitalisme vert », ou autres « en même temps », assez coutumier (et compréhensible compte tenu du monde dans lequel nous vivons) de ce genre de réunions.
Après le droit d’ingérence, vient le devoir de vigilance
« Les dirigeants de l’usine du Rana Plaza savaient qu’il y avait des fissures dans les murs mais ils ont laissé les choses en l’état car il fallait produire, raconte la première intervenante, Valeria Rodriguez Ponce (Max Avelaar). La fast et l’ultra fast fashion impliquent des relations commerciales spécifiques : du volume, des délais de fabrication raccourcis et des prix bas. Il faut réguler le commerce en changeant les lois ».
Une attente qu’elle formule avec d’autant plus de conviction que la Commission des affaires juridiques du Parlement européen doit voter, ce mardi 25 avril 2023, un texte de compromis sur le « devoir de vigilance ». Cette directive, adoptée en février 2022, exige des marques le respect des droits humains sur toute leur chaîne d’approvisionnement. Le texte doit entrer en vigueur autour de la fin 2025 mais des amendements pourraient être apportés au texte pour déterminer la responsabilité de chacun. Tout se joue en ce moment.
Cette nécessaire vigilance s’accompagne d’une pétition, « Good Clothes Fair Pay », initiée par Fashion Revolution France / Max Havelaar France /Action Aid. « Il faudrait un million de signatures pour pouvoir s’assoir à la table de la Commission et discuter d’un salaire vital pour se loger, se nourrir, se soigner, s’instruire et épargner en fin de mois, en cas de coups durs » signale Catherine Dauriac.
« 76 pour cent des ouvrières du textile sont victimes de violence » Salma Lamqaddam (ActionAid)
Les femmes, majoritairement employées dans ce secteur d’activité, sont jeunes, isolées (elles viennent de milieux ruraux pour travailler dans les zones industrielles), peu qualifiées. Elles œuvrent sous l’ordre des hommes à des métiers pénibles. Tout cela est un facteur aggravant en termes d’exploitation humaine. « 76 pour cent d’entre elles sont victimes de violences : insultes sexistes, harcèlement, viols, violences physiques (genre gifle par les contremaitres) et cela est allé jusqu’au meurtre » dénonce Salma Lamqaddam, chargée de campagnes droits des femmes pour ActionAid.
Un constat d’autant plus injuste que les niveaux de production ne répondent pas à une demande. « Il y a une fuite en avant à toujours vouloir produire plus, commente Pierre Condamine (Les Amis de la Terre). Une grande partie des articles fabriqués n’est pas recyclable et finit en déchets donc brûlée ». Il cite des chiffres : 150 milliards de vêtements sont commercialisés dans le monde, trois milliards en France. Ce qui correspond à 44 articles par habitant alors que les accords de Paris en prévoyaient 5. H & M. et Zara produisent 6 000 nouvelles références par an, Shein en propose 10 000. « En réalité, rien n’a changé depuis la catastrophe du Rana Plaza, soupire-t-il. Il faut enrayer ce système, produire moins, amorcer la transition vers des sociétés justes et soutenables et embêter les multinationales ».
« Acheter un vêtement à quatre euros est un droit de gueux », Audrey Millet
« Il est peut-être temps de se rappeler que le bien commun, c’est notre corps. L’être humain est au centre du problème » déclare Audrey Millet, autrice du rapport « Quelle est la toxicité des textiles que nous consommons ? Et comment les outils commerciaux de l'UE peuvent-ils s'attaquer à ce problème ? ». Elle y décrypte 8000 substances chimiques entrant dans les différentes étapes du marché de la mode : extraction des matières premières, production des textiles, fabrication, transport, vente, vêtements d’occasion (réemballer, reconserver).
Selon elle, la réglementation Reach sur les produits toxiques est une bonne loi mais le problème vient du fait que les Chinois, puis les Indiens, puis les Coréens ont édité leurs propres normes, créant, par là même, un non-alignement. Il faudrait « serrer et préciser Reach avec des personnes dédiées pour éviter de contourner la loi » ce, à condition que les scientifiques ne subissent pas la pression des enseignes. « Certains ont été rémunérés, accuse-t-elle. Personne ne doit mettre un produit pourri sur le marché, ça s’appelle un empoisonnement ».
Les auteurs présentent ensuite leurs livres qu’ils dédicacent lors d’une séance de net working gustative et récréative : « Woke Washing, capitalisme, consumérisme, opportunisme » (Éditions Les Pérégrines), d’Audrey Millet, désigne la récupération médiatique et la manipulation des esprits à travers le courant woke ; « Les Cousettes du Petit Écho : Pionnières de la mode circulaire » (Éditions PublishRoom), de Guénolée Milleret, raconte l’histoire des couturières avant le business du prêt-à-porter ; « Les vêtements » (Éditions Milan), de Manon Paulic, sensibilise les enfants à l’industrie de la mode ; « La face cachée des Étiquettes », (Éditions Eyrolles), d’Éloïse Moigno et Thomas Ebelé (SloWeAre), se veut « une sorte de boussole pour les utilisateurs » ; enfin « Fake or not Fake » de Catherine Dauriac, a déjà été précédemment présenté dans FashionUnited.
« L’activisme est indispensable », Marie-Emmanuelle Belzung (Alliance for European Flax-Linen and Hemp)
La dernière partie de la conférence porte sur les freins et leviers de la réindustrialisation française avec ce premier constat : produire dans l’hexagone signifie moins d’impact, à condition que les vêtements soient consommés en France, ce qui est loin d’être le cas puisque, selon Jérôme Cuny (auteur de « Relocaliser » aux ÉditionsTana) : « la France produit près de 160 000 vêtements (la plupart de luxe, donc destiné à une clientèle internationale, N.D.L.R.) et en achète plus de six millions. Il va falloir repenser nos finalités et, sans doute, ne pas rechercher la pureté ». À défaut, « imposer un affichage environnemental ET social obligatoire et non volontaire, basé sur le déclaratif » renchérit Thomas Ébelé.
Si la dynamique de la relocalisation est enclenchée comme le montrent des exemples de la filière lin et chanvre (Safilin, French Filature), le point faible de ces trois modèles est le manque d’innovation technologique sur ce secteur. « La french tech, c’est surtout le high-tech, alors que là, on a besoin de low tech, indique Marie-Emmanuelle Belzung (Alliance for European Flax-Linen and Hemp), qui précise participer activement (comprenez financièrement) au mouvement activiste qu'est Fashion Revolution. Nous sommes sur la politique du pas à pas. On pouvoir doit pouvoir prouver ce que nous affirmons à travers des preuves et des études. Ce Story Proving est labellisé par le visa qualitatif European flax ».
Le clap de fin est donné par Florentin Letissier, maire adjoint de Paris en charge de l'économie sociale, solidaire et circulaire, et de la stratégie zéro déchet qui assure prendre sa part, à travers la Mairie de Paris, dans la remise en question d’un système économique qui crée beaucoup d’inégalités. Si les initiatives individuelles doivent être valorisées, à l’instar des métiers manuels, les décisions politiques s’imposent. Et d’inviter chacun à l’inauguration, le 11 mai 2023, du plateau fertile de la rue Berlier, dans le treizième arrondissement parisien.
Pour apporter un peu de légèreté, cette demi-journée a été précédée, le samedi 22 avril 2023, d’un défilé, organisé par le collectif UAMEP (Une Autre Mode Est possible) aux Canaux Paris. Ce, à l’occasion de la journée de la Terre. Nommé « Terre en Cycle, je suis, nous sommes, vous êtes les ressources d’une Autre Mode », il a réuni de nombreuses marques de mode qui cherchent, par tous les moyens, à conjuguer une esthétique désirable avec un model business responsable et durable. Work in progress.
À noter que l’événement Fashion Revolution Week France se déroule tout au long de la semaine.