Faire de Paris la capitale d’une mode plus responsable en 2024: le pari relevé de Paris Good Fashion
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Initiée par la Ville de Paris, Paris Good Fashion avait pour objectif initial de positionner Paris en tant que capitale d'une mode plus responsable d'ici 2024, en prévision des Jeux Olympiques. A l’occasion de son cinquième anniversaire, l'association a dressé le bilan de sa première feuille de route en présence des principaux acteurs de l'industrie, ce 23 janvier à l'Institut Français de la Mode.
Quelques jours avant cette rencontre, FashionUnited a eu l'opportunité de s'entretenir avec Isabelle Lefort, cofondatrice de l'association, afin de discuter des retombées concrètes de ses actions en France et en Europe, notamment avec la présentation de son position paper à la Commission européenne, ainsi que des initiatives mises en place pour la période 2024-2030.
Cinq ans après son lancement, que représente Paris Good Fashion ?
Isabelle Lefort : Aujourd’hui, Paris Good Fashion regroupe plus de 100 membres, répartis dans diverses catégories. Parmi eux, on compte des marques telles que Lacoste, Balzac, Balmain, Schiaparelli, Bompard, ainsi que des grands groupes tels que LVMH, Kering, Richemont, le groupe Etam, etc. La diversité s'étend également aux distributeurs, avec la présence de Galeries Lafayette, Printemps, le Bon Marché, ainsi que des plateformes digitales comme Vestiaire Collective et LeBonCoin. Des fédérations renommées, telles que l'Alliance du Commerce, Haute Couture, Prêt-à-porter, le Conseil National du Cuir sont également parmi nos membres, tout comme des sociétés de conseil et des partenaires tels que Deloitte, KPMG, la Fondation Ellen MacArthur et APF France handicap, pour n'en nommer que quelques-uns. Collectivement, nous représentons entre 60 et 70% du marché français en termes de chiffre d'affaires. En matière de représentation et de poids économique, Paris Good Fashion est aujourd'hui la plus grande association française engagée des acteurs du secteur dans le développement durable. Récemment, nous avons célébré notre cinquième anniversaire par un événement à l'Institut français de la Mode (IFM), où nous avons discuté de nos réalisations. En tout, nous avons mené plus de 50 projets et actions concrètes, allant d'une cartographie des acteurs éco-responsables en Île-de-France à une consultation citoyenne, en passant par un groupe de travail sur les cintres et les polybags, ayant abouti à une solution réduisant de plus de 70% cette forme de pollution.
Pouvez-vous nous expliquer davantage votre projet de consultation citoyenne ? Quels résultats a-t-elle amené ?
Isabelle Lefort : En 2020, dans le cadre de nos premières initiatives, nous avons lancé une consultation citoyenne sur la question "comment agir tous ensemble pour une mode durable pour tous". Nous étions convaincus de la nécessité d'impliquer les citoyens dans la résolution de cette problématique. Que la question devait être adressée de manière collective. Cette consultation a été un succès au-delà de nos attentes, rassemblant 107 000 participants. Cependant, ce qui a été encore plus surprenant, c'est notamment la demande qui en a découlé. Je dois avouer que j’ai été surprise qu’en préambule de s’engager tous nos membres nous demandent de créer un glossaire ! Pour avoir un langage commun et partager ainsi les mêmes définitions, les mêmes périmètres. En collaboration avec le groupe de travail composé notamment de Deloitte, Chanel, Kering, LVMH, la Fédération de la Mode de Haute Couture, l'IFM, Etam, nous avons travaillé sur la définition de plus de 350 termes. Il est depuis disponible sur notre site, en français et en anglais, et est consulté quotidiennement. Il est devenu un outil référent.
Sur quels projets travaillez-vous actuellement ?
Isabelle Lefort : Actuellement, l'un de nos projets phares est le développement d'une Méthodologie Act du secteur Mode & Luxe visant à évaluer la crédibilité des stratégies de décarbonisation. Nous avons demandé à Deloitte de piloter le projet de création de cette méthodologie, conçue par l'ADEME (Agence Environnement et Maîtrise Énergie) et le World Benchmarking, avec le soutien de Climate Chance. Plus de dix de nos membres sont déjà impliqués dans ce projet, et nous avons récemment obtenu le soutien des Fédérations et du DEFI Mode, l'incubateur et accélérateur de croissance de l'industrie de l'habillement en France, pour le développement de cet outil, complétée par des financements de l'ADEME. L'objectif est de créer un référentiel international concret capable d'évaluer et de mesurer les progrès de l'industrie dans le domaine de la décarbonisation. Nous sommes conscients des avancées réalisées au cours des cinq dernières années dans l'industrie, mais il y a un réel manque de coordination et d’harmonisation. Or, si nous n’avons pas d’outils communs, nous ne pouvons pas rendre compte des progrès, et donc avancer. C’est la même logique qui nous a conduit, à la veille de nos 5 ans, pour mesurer nos progrès et définir notre prochaine feuille de route, à réaliser un audit, mis en place un benchmark et élaborer un questionnaire en collaboration avec tous nos membres, pour nous permettre d’avancer en toute transparence.
Parmi vos réalisations concrètes, vous avez élaboré la cartographie des acteurs que vous avez mentionnée précédemment. Pourquoi avoir développé cet outil spécifiquement ?
Isabelle Lefort : Il était important de savoir de quoi nous parlions lorsque nous nous sommes lancés et de cartographier les acteurs de la mode durable en Île-de-France. Là encore pour avancer, il était important de nous mesurer. En mai 2020, la première version de la cartographie a été rendue disponible en français et en anglais sur notre site via MapStr. Elle recense aujourd’hui plus de 433 acteurs de la slow fashion, de la mode éthique, éco-responsable, vegan, upcycling, etc. Ces acteurs ont été sélectionnés et validés par le groupe de travail composé de la Mairie de Paris, la Fédération du prêt-à-porter, l'IFM, les Galeries Lafayette et de Refashion. Elle compte plus de 3000 abonnés qui viennent la consulter mensuellement afin de trouver des adresses utiles d'acteurs de la seconde main, des lieux de réparabilité, et bien plus encore.
Quelles retombées avez-vous observées suite à votre expérimentation terrain concernant les cintres et polybags ?
Isabelle Lefort : Les retombées ont été particulièrement concluantes. En l’espace de trois mois, avec 12 marques et 37 magasins, nous avons réussi à collecter plus de vingt tonnes de cintres et polybags. Ce sont des volumes immodérés. Qui plus est, de manière remarquable, 95% des cintres collectés étaient dans un état presque neuf. Les résultats sont édifiants, mais il y a des solutions concrètes, et c’est ce que nous proposons. Pour les cintres et polybags, notre groupe de travail s'emploie à définir une méthode permettant de réduire de 70% l'impact de ces objets en plastique. Nous avons mis en place une mutualisation de la collecte, augmentant ainsi les volumes collectés et ouvrant la voie à des possibilités de recyclage. Grâce à la standardisation de ces procédés, nous parvenons à une réduction quasi complète, notamment dans le cas du polybag en boucle fermée. En 2024, nous lançons avec l’Alliance du Commerce, et le soutien du Défi Mode, l’amplification de l’expérimentation à l’ensemble des acteurs sur le territoire national et allons travailler avec des partenaires pour son développement dans des grandes villes à l’international.
Quelle est la position des entreprises par rapport à la volumétrie de la production, notamment étant donné les volumes de déchets que vous évoquez ?
Isabelle Lefort : Il est intéressant de noter qu'à la présentation de notre état d’avancement des acteurs de la mode en matière de développement durable en 2023, l'une des questions que nous avons posées aux entreprises était celle des volumes : la question de la décroissance est-elle à l'ordre du jour dans votre entreprise, ou pas du tout ? La réponse a été unanime : « non ». Cela se comprend parfaitement tant le contexte économique est complexe. Le business model du secteur repose sur la nouveauté et la croissance. Mais, la question des volumes produits par l'industrie est un sujet réel et préoccupant. En avril 2023, nous avons organisé une table ronde avec des économistes, dont Timothée Parrique, auteur d'une thèse sur la décroissance ainsi que du livre "Ralentir ou périr". La salle était comble, et à la fin du débat, de nombreuses personnes m’ont demandé les coordonnées de Timothée Parrique. C’était surprenant puisque chacun convenait que ce n'est pas à l’ordre du jour dans nos entreprises, mais c'est l'avenir. En conséquence, nous avons lancé un cursus dédié pour les MBA et les MSC au sein de l'Institut Français de la Mode, afin d’ores et déjà de sensibiliser au sujet et de le décortiquer pour trouver des pistes concrètes d’avancement.
Qu'avez-vous accompli par rapport à votre objectif pour 2023-24, visant à sensibiliser les pouvoirs publics sur les enjeux de la mode durable et à promouvoir ce modèle en France et à l'international ?
Isabelle Lefort : Nous avons eu l'opportunité d'être reçus à Bruxelles par la Direction de l'Environnement, où nous avons présenté le position paper que nous avons copiloté avec Vestiaire Collective. Nos propositions ont été très appréciées, car très concrètes et constructives. A l’issue de notre rencontre, nous avons convenu d’un soutien mutuel, notamment dans le cadre des discussions à venir au Parlement européen, pour faire remonter les informations auprès des parlementaires afin d'accélérer l'adoption de propositions communes sur lesquelles nous étions largement en accord.
C’est-à-dire, sur quelles propositions Bruxelles et vous avez décidé de vous pencher ?
Isabelle Lefort : Nous avons convenu de travailler conjointement sur la création d'un outil référentiel indépendant visant à réévaluer la hiérarchie des déchets. Actuellement, le traitement des déchets est largement orienté vers l'exportation, en grande partie parce qu'on les considère comme des textiles usagés plutôt que comme des déchets. Notre objectif est d'encourager un effort à l'échelle européenne pour réévaluer cette hiérarchie. Nous souhaitons que toute entité, tout pays, désirant recevoir des produits textiles usagés prouve qu'elle est en mesure de les traiter de manière appropriée et sans impact négatif sur l'environnement. En tout, nous avons formulé six recommandations pour une gestion responsable et circulaire des déchets textiles à l'échelle mondiale.
Est-ce que cette mesure plaît à vos membres ? Pourquoi, malgré le fait que les entreprises paient une éco-contribution pour que les déchets soient traités de manière responsable, ces déchets se retrouvent-ils à polluer des pays tiers ?
Isabelle Lefort : En effet, chaque entreprise de notre secteur doit s'acquitter d'une éco-contribution en fonction du nombre de références qu’elle met sur le marché. Les mesures que nous proposons sont naturellement bien accueillies par l'industrie. Tous les acteurs souhaitent une gestion efficace de la chaîne et ne voient aucun intérêt à ce que les déchets ne soient pas traités de manière responsable. D'autant plus lorsqu'elles financent leur gestion éco-responsable. Refashion a jusqu’à peu été le seul éco-organisme dans le monde à veiller à l’organisation de la chaîne. Ils sont très agissants. Mais, le problème est complexe, tentaculaire. Ce sont les lacunes du système global et l’absence de réglementation mondiale qui conduisent à un traitement insuffisant des déchets. Aucune marque n’a envie de voir ses vêtements usagés, ses « déchets » finirent sur une plage. Le problème ? C’est comment on fait pour régler cela. Il faut travailler main dans la main. Chacun doit faire sa part. Parmi les six propositions que nous avons soumises à la Commission européenne, nous préconisons de réaliser un tri pièce par pièce, plutôt qu'un tri global, avec une traçabilité individuelle. C’est essentiel pour savoir où vont les vêtements une fois déposés auprès des organismes de gestion des déchets. Oui, cela représente de l’investissement. Oui, cela nécessite de réévaluer les process actuels. Mais, on n’y arrivera seulement si nous travaillons tous - marques, pouvoirs publics, structures de l’ESS, en France, en Europe - de façon coordonnée.
De manière plus globale, quelle est l'influence de vos actions ? Par exemple, l'État a impulsé une législation demandant aux sociétés de fonctionner de manière durable, et ce cadre législatif est effectivement un incitant à aller dans ce sens. Mais il y a-t-il des actions mises en place pour les aider à y parvenir ?
Isabelle Lefort : Quand nous avons créé l’association, notre objectif était de faire de Paris la capitale de la mode plus responsable d'ici 2024 : pari relevé. L’intelligence collective est au cœur de la transition du secteur. Nous avons pour notre part réalisé 50 projets concrets. Ce qui rend la France unique dans sa dynamique de mode responsable, c'est la combinaison d'une forte impulsion de l'État avec des législations ambitieuses, encouragées par le New Green Deal européen. Dans notre structure, chaque membre a une voix égale, favorisant une collaboration équitable sans qu'un groupe soit plus représenté qu'un autre. Cela stimule la coopération entre tous les acteurs et ouvre les discussions. Des acteurs qui précédemment ne se parlaient pas travaillent désormais ensemble, en transparence et esprit ouvert, tels que LVMH, Kiabi, Lacoste autour d'une même table. Aucune question n’est tabou.
Après votre première feuille de route dont l'ambition était de faire de Paris la Capitale d'une mode plus responsable, quelle est votre deuxième feuille de route pour les cinq années à venir ?
Isabelle Lefort : L'objectif de notre deuxième feuille de route pour 2024-2030 est de faire de Paris une capitale exemplaire de mode responsable, capable de co-créer, d’innover, d'influer et d’accélérer. En élaborant des trajectoires pour décarboniser l'industrie, en abordant les questions d'inclusion, et en explorant de nouveaux modèles économiques intégrant la volumétrie et le recyclage. Ces domaines seront au cœur de nos préoccupations, avec un affinement continu. Nos membres reconnaissent l'utilité de nos actions, les jugeant concrètes, collectives et traitant des sujets impactants. Nous allons encore renforcer nos indicateurs de performance clés, mesurer notre impact pour aider les acteurs. Nous allons nous doter de comités techniques pour renforcer nos expertises. Et, pour faire connaître nos actions à l’international, nous allons créer des passerelles pour mieux partager nos réalisations avec d’autres partenaires. François Souchet, précédemment chargé de la stratégie textile de la Fondation Ellen MacArthur sera chargé de ce chantier. De même, nous créons le Comité ForEverYoung afin que les jeunes diplômés, déjà actifs dans des entreprises, challengent notre gouvernance, notre stratégie et préparent la transition. Travailler à l’avenir, cela veut dire anticiper, préparer le passage, et passer le relai. Les sujets évoluent très vite, leur complexité également. En tant qu’association, il nous faut être agile, utile, concret et collectif. C’est passionnant.