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Etes-vous une marque cisgenre ou inclusive ? Ce que nous enseigne le cas Victoria’s Secret

Par Herve Dewintre

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La nouvelle est venue d’Instagram. Sur son compte officiel suivi par 277 000 abonnés, Valentina Sampaio, 22 ans, enveloppée dans un peignoir blanc et mœlleux fixe vers l’objectif tout l’éclat de ses beaux yeux couleur lagune. Le choix de la légende (« backstage click ») et des hashtags qui accompagnent ce post de facture classique sont révélateurs : #vspink, #campaign. Le mannequin transgenre vient tout simplement de nous annoncer qu’elle sera le prochain visage de la nouvelle campagne du géant américain de la lingerie.

Cette annonce est importante. Si le monde de la mode aime, à sa manière lutter contre les préjugés et soutenir les minorités, si Valentina Sampaio n’est pas une inconnue dans la profession (elle a notamment décroché un contrat chez L’Oreal Paris en 2016, défilé pour la fashion week de Sao Paulo, fait la couverture de l’édition nationale du magazine Elle, du Vogue francais en 2017, du Madame Figaro ce mois de juillet), il faut cependant constater que la marque Victoria’s Secret s’était ostensiblement signalée par sa volonté de ne pas mettre en avant les femmes transgenre. En novembre 2018, Ed Razek, directeur du marketing de L Brands, la société mère de Victoria’s Secret affirmait très clairement dans les colonnes du Vogue US : « Quand on me demande si on ne devrait pas engager des mannequins transsexuelles pour le show, je réponds non. Victoria’s Secret, c’est du pur fantasme, c’est un divertissement de 42 minutes, et c’est tout ». De nombreux internautes ont fait part de leur indignation. On a parlé de transphobie. Nous assistons donc à un revirement complet de la part de la puissante marque de lingerie. Que s’est-il passé ?

Le culte du fantasme à grands renforts de stéréotype n’est plus vendeur

Victoria’s Secret est un empire sur le déclin. Les ventes sont en berne. L’action de la marque a perdu 40 pour cent de sa valeur en 2018. Les spécialistes s’accordent à expliquer ce fléchissement par le désintérêt d’une nouvelle génération de consommateurs qui ne se reconnait plus dans une marque égrenant continuellement une succession de clichés éculés à grands renforts de stéréotypes sirupeux. Pour la première fois depuis sa création en 1995, le sacro-saint défilé de la marque, retransmis chaque année sur ABC, est remis en question. En début d’année, la marque s’est résolue à fermer une cinquantaine de boutiques.

Parce qu’elle a multiplié les déclarations maladroites et offensantes, parce qu’elle n’a pas su saisir à temps les nouvelles nuances dont se compose l’air de temps, la marque - devenue le symbole du « cisgenre » si souvent moqué sur twitter - provoque des réactions de rejets épidermiques. Début décembre dernier, une dizaine de femmes, de morphologies très diverses, posaient en soutien-gorge devant la boutique londonienne de la marque à Oxford Street, manifestant ostensiblement, mais avec le sourire, leur désapprobation face aux choix esthétiques de la marque. Le cliché a été repris sur le compte instagram Love Disfigure, une association fondée par Sylvia MacGregor qui a été ébouillantée à l’âge de trois ans et qui désormais promeut activement la beauté dans toute sa diversité.

Tandis que Victoria’s Secret, à l’instar d’Abercrombie & Fitch, hissait haut l’oriflamme d’une beauté fantasmatique et stéréotypée, d’autres labels choisissait de se ranger sous la bannière de l’inclusion : le cas le plus notable est celui de Rihanna qui avec sa marque Fenty met en lumière les physionomies les plus diverses, fait défiler les femmes enceintes, choisit une septuagénaire pour égérie. Ce choix, soutenu par le groupe LVMH, semble emporter l’adhésion du public. D’autres labels, plus confidentiels, font également le choix de mettre en avant un discours teinté non pas de féminité, mais de féminisme : on pense à la marque de sous-vêtements Thinx qui déclare vouloir « briser les tabous et révolutionner le monde des protections intimes ». Cette marque, qui met en scène des mannequins sans retouches photoshop excessives, a vivement intéressé le groupe Les galeries Lafayette qui promeut activement ce jeune label au sein de son nouveau grand magasin des Champs Elysées.

En résumé, le mot « Inclusif » n’est plus un simple adjectif mais le signe de ralliement à un mouvement de fond autour duquel chaque marque de mode doit désormais faire un choix décisif : suis-je ou non une marque inclusive ? Très Clairement, jusqu’ici, Victoria’s Secret ne l’était pas. Le choix, pour sa prochaine campagne, d’un mannequin transgenre constitue un premier pas vers un bouleversement total de ce qui constituait jusqu’ici l’essence de la marque de lingerie américaine : le culte du fantasme. Celui-ci, il faut bien le constater, ne recueille plus ni l’adhésion des médias, ni la faveur des consommateurs. Chaque marque devrait tirer de ce cas d’école un enseignement décisif.

Credit photo : Jewel Samad / AFP

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