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Enquête : Les dessous du financement de La Caserne

Par Diane Vanderschelden

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Business|Exclusif
Cour intérieure de La Caserne. Credits: Impala, LD Event Paris.

Depuis 2019, de nombreux observateurs ont suivi de près le lancement de La Caserne, désignée comme « le plus grand accélérateur de transition écologique dédié à la filière mode et luxe en Europe » par sa directrice, Maëva Bessis. Bien que salué, ce projet suscite des interrogations quant à son financement. Le peu de communication sur le sujet a donné cours aux spéculations, qualifiant à l’occasion d’opaque le développement de la Caserne, et d’ambigu le rôle de la Ville de Paris et des partenaires du projet.

À la genèse du projet de La Caserne se trouve l'ambition de la Ville de Paris de s’imposer comme leader de la mode écoresponsable, consciente de l'influence mondiale du secteur français de l'habillement. Elle marque le coup en 2017 en lançant conjointement avec la Régie Immobilière de la Ville de Paris (RIVP), un appel à projets visant à réhabiliter la caserne du Château-Landon dont elle est propriétaire, afin d’y loger une « Cité de la mode écoresponsable ».

Montage du projet et financement de son lancement

Ce projet a été remporté par Jacques Veyrat, un investisseur agissant pour le compte du fonds d’investissement engagé et responsable Impala, principalement actif dans le secteur de l'énergie durable. Jacques Veyrat est également propriétaire du concept store L'Exception, une référence dans le domaine de la mode en France, qui a réalisé un chiffre d’affaires de 10 millions d’euros en 2021. Celui-ci a vu dans l’appel à projets de la ville, l’opportunité de créer un espace dédié à la transition écologique, et a invité Maëva Bessis, alors directrice générale adjointe de L'Exception, à prendre en charge ce plan ambitieux.

En tant que principal investisseur, Jacques Veyrat a assumé le financement des travaux et des aménagements à hauteur de 5 millions d'euros, couvrant ainsi 90 % du coût total du projet. La région Île-de-France a également joué un rôle significatif en apportant une contribution financière de 300 000 euros sous forme de subventions, destinée à l'équipement du fablab « LE LAB by IFTH ». Cet espace, ouvert par l'Institut Français du Textile et de l'Habillement (IFTH), vise à soutenir les créateurs dans le processus de conception, prototypage et évaluation de leurs collections. Après une discussion avec La Caserne, FashionUnited n’a pas obtenu d’informations concernant les 10 % de financement restants, soit 500 000 euros, qui pourraient potentiellement provenir de partenaires tels que LVMH, Kering, Aigle ou Woolmark, qui se sont également engagés dans ce projet.

Était-ce cette absence d’information quant aux partenaires financiers du projet qui a été soulevée lors du Conseil de la mairie du 10ème arrondissement en juin 2015 ? En consultant son compte-rendu, on peut effectivement voir que certains élus partageaient ce sentiment d’opacité autour du montage du projet. « Madame Vasa estime la rédaction de la délibération trop imprécise sur l’ensemble de ce projet. L’impression est que ce projet majeur a été soutenu et porté par Jean-Louis Missaka, proposé par la société Impala de Jacques Veyrat (ancien PDG de neuf Cegetel), qui investit dans de nombreuses sociétés en Chine et est actionnaire d’entreprises de prestation aux industries nucléaires, spatiales et aéronautiques. Les partenaires de ce projet sont également de grandes marques du luxe. Par ailleurs, le montage du projet se fait dans une certaine opacité. Peu de concertation a eu lieu et la réunion de majorité a été très tardive. (…)»

Par ailleurs, dans ce même communiqué, nous voyons que malgré cela « un maire d’arrondissement doit savoir faire atterrir, sur son territoire, des projets portés par la Ville et amener les investisseurs sur Paris. Lorsqu’une opportunité comme celle-ci se présente, la rejeter revient au risque que son mandat se termine avec une caserne Château-Landon vide. Tel n’est pas le souhait de M. Féraud, qui se réjouit qu’une perspective sérieuse soit engagée en début de mandat. »

« Pour [Jacques Veyrat], La Caserne c’est un investissement coup de cœur. »

Maeva Bessis, directrice de La Caserne.

Au moment où nous rédigions l’article, FashionUnited a reçu un appel de Maeva Bessis, un vendredi en fin d’après-midi. De quoi, enfin, pouvoir voir l’histoire du côté de celui qui la façonne. « Jacques Veyrat, lorsqu’il est venu me voir, il m’a dit : “il y a trois choses que je voudrais que tu fasses : avoir de l’impact, être cool, et ne pas me faire perdre trop d’argent”. Pour lui, La Caserne c’est un investissement coup de cœur. Quand on gère un portefeuille aussi large que celui de Jacques Veyrat, on peut avoir des projets dont les retours ne sont pas que de l’ordre du financier. La Caserne, c’est un projet à impact. Par manque de temps, nous ne répondons pas à tous les appels à projets. Or, nous aimerions travailler plus main dans la main avec la mairie. Nous voudrions notamment avoir plus de financements publics, car ce que nous faisons est d’utilité publique. Nous formons, entre autres, les professionnels à la mode éco-responsable et organisons deux à trois événements gratuits par semaine. »

S’agissant des accords avec la ville quant à la location des lieux, ceux-ci prévoient un loyer annuel en principal de 1 050 000 euros hors taxe, « en valeur 2018 quelle que soit l’option retenue par le candidat », peut-on lire dans le communiqué de consultation de la RIVP en 2015. La Ville de Paris a signé avec cette régie immobilière (la RIVP) un bail emphytéotique pour une durée de 45 ans, soit jusqu’au 7 octobre 2060, contre paiement d’une redevance, soit une part fixe pendant 15 ans, et un pourcentage sur les loyers de l’incubateur économique.

Privatiser et louer pour assurer des revenus annuels

La société La Caserne aurait réalisé un chiffre d'affaires de 1 300 000 euros sur l'exercice 2022, pouvons-nous voir sur Société Info, après une ouverture officielle des lieux au deuxième semestre 2021. « Nous avons effectivement obtenu ce chiffre d’affaires. Si l’on déduit la part du loyer, vous voyez que la marge n’est pas incroyable. Donc on ajuste avec la privatisation des lieux. Nous avons le potentiel d’atteindre l’équilibre. On se laisse une année pour y arriver », nous précise Maeva Bessis.

Comme nous l’avions noté, la principale source de revenu courant de La Caserne semble effectivement provenir des loyers perçus grâce à la location et à la privatisation de ses divers espaces. Pour commencer, il y a les espaces loués par les marques résidentes. Les quarante start-ups paient un tarif annuel de 400 euros par mètre carré, hors taxes, pour des espaces allant de 18 à 300 mètres carrés. Elles paient ainsi des loyers mensuels qui varient entre 600 et 10 000 euros.

« Les loyers sont en effet capés. Ce sont des tarifs accessibles et qui financent notre modèle », ajoute Maeva. En ce qui concerne le partenariat entre les marques et La Caserne, il serait intéressant de connaître le pourcentage éventuellement prélevé par La Caserne et Impala sur les ventes réalisées par les start-ups ainsi que par le restaurant Ora et le Club Carbone, deux autres partenaires permanents du projet.

La Caserne génère surtout des revenus grâce à la privatisation de ses divers espaces. Elle offre aux groupes et aux entreprises la possibilité de réserver la salle de séminaire Le Talkroom, le local de son club techno Le Carbone, l'Appartement, le Showroom, le Rooftop, son restaurant festif et végétarien Ora, ainsi que la Cour, moyennant des tarifs allant de 1 200 à 8 400 euros hors taxe. La Cour est fréquemment réservée pour des événements tels que les Ateliers 1664, lors desquels la marque de bière est venue proposer des dégustations, métamorphosant ainsi l'espace en un lieu verdoyant agrémenté d'un bar hexagonal de couleur bleue.

« Nous faisons toutefois de la sélection dans la privatisation, en prenant notamment en compte la vie du quartier. Nous avons par exemple récemment organisé des événements avec Hôtel Mahfouf et Les Ateliers 1664. Avec les Ateliers, il y a eu une soixantaine d’activités sur trois semaines, et avec l’Hôtel Mahfouf nous avons reçus 70 000 personnes. Ce fut de belles rentrées d’argent. Toutefois, ces deux événements étaient ouverts au public. Par ailleurs, nous avons calculé, 30 % de nos événements ont été organisés à titre gratuit. Il y a toujours quelque chose à couvrir, que ce soit par exemple un défilé inclusif organisé par une asso qui a besoin d’un local, ou des artistes qui voudraient exposer dans nos escaliers. Nous faisons en sorte que La Caserne soit en permanence un lieu vivant, servant à un maximum de personnes », nous précise Maeva.

En outre, La Caserne perçoit des rentrées ponctuelles grâce à son système d'abonnement, permettant aux particuliers de devenir membres du Club de La Caserne moyennant 99 euros par mois ou 1 099 euros par an. Une billetterie est également disponible pour un accès ponctuel aux événements moyennant 20 euros.

Évolution de la Caserne

Quelle sera alors l’évolution de La Caserne dans les années à venir ? « Nous allons continuer de développer l’événementiel et le restaurant, ce sont les deux seuls leviers pour être rentables. D’ailleurs, nous allons adapter le concept du restaurant, dont les prix le soir étaient trop élevés pour le quartier. Nous allons donc servir des assiettes de 8 à 16 euros. Nous voulons que le projet ait un impact, qu’il soit rentable tout en bénéficiant à la vie de quartier », conclut la directrice.

Les contributions connues d’Aigle, Kering, Woolmark et LVMH

Aigle, la célèbre marque française de bottes, a établi un partenariat avec Merci Raymond, une entreprise spécialisée dans l'agriculture urbaine, dans le but de transformer le rooftop de La Caserne en un jardin suspendu composé de plus de 250 plantes. L'objectif de ce jardin est d'éduquer sur l'utilisation des plantes tinctoriales, servant à la réalisation de teintures naturelles. Dans le cadre de ce partenariat, Aigle s'engage à reverser 10 % de ses bénéfices issus des ventes privées et des avant-premières soldes réalisées sur sa plateforme en ligne et en magasin à Merci Raymond. La collaboration entre Aigle et La Caserne prévoit quant à elle, la tenue de master classes et d’allocutions du PDG d’Aigle, ainsi que le développement d'une collection capsule axée sur le concept de l'upcycling.

Quant à Kering, « il est notre partenaire de financement. Depuis le début, Kering m’a aidée à comprendre bon nombre de problématiques de l’industrie et à imaginer de meilleures façons de travailler », indiquait Maeva Bessis dans une interview accordée à Fashionnetwork, sans préciser les termes du partenariat. En outre, le lancement de Fashion Our Future en France, l’initiative de Kering axée sur la mode durable, en partenariat avec le magazine Marie Claire, a été réalisé au sein de La Caserne, conférant ainsi une grande visibilité à cet espace.

Woolmark Company, l’organisation à but non lucratif spécialisée dans la recherche technologique liée à la laine, a choisi La Caserne comme l'un de ses trois Centres de Développement Woolmark. La marque dispose d'un atelier permanent au sein de La Caserne, axé sur les tissus innovants et responsables.

LVMH a mis à disposition les chutes de tissus non-utilisées par ses ateliers aux créateurs de La Caserne, par le biais de sa start-up Nona Source dédié au sourcing des matières premières.

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