En Ouzbékistan, l'espoir de la fin du travail forcé dans le coton
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Boyovul (Ouzbékistan) - Une petite révolution se dessine en Ouzbékistan : l'Etat veut éradiquer le travail forcé dans son industrie du coton, après avoir pendant des décennies contraint des centaines de milliers d'Ouzbeks à s'éreinter lors des récoltes.
Chokhidakhon Khasanova se souvient comment chaque automne, pendant 15 ans, d'abord comme étudiante puis comme infirmière, elle devait aller au champ sous un soleil de plomb pour cueillir cette fibre végétale essentielle au secteur du textile.
« Une année, j'étais enceinte. Mais ça n'a rien changé. On m'a quand même dit d'y aller », se rappelle cette femme de 46 ans, originaire d'Almalyk, à 65 kilomètres de Tachkent, la capitale ouzbèke.
Elle raconte à l'AFP « les crampes aux jambes et les douleurs aux reins », le tout pour une paye misérable.
Mais depuis la mort en 2016 du dirigeant autoritaire Islam Karimov et l'arrivée de son successeur, Chavkat Mirzioïev, les choses ont changé : « On ne nous envoie plus aux champs », résume l'infirmière.
Vers une industrie cotonnière privatisée
Jusqu'alors, le travail forcé de centaines de milliers de fonctionnaires, étudiants et écoliers a assuré à l'Ouzbékistan, une ancienne république soviétique de 33 millions d'habitants, son rang de sixième producteur mondial de coton.
Les autorités attendaient de la population qu'elle se mobilise pour atteindre les quotas d'Etat de récolte, système hérité de l'URSS. Islam Karimov, un adepte de l'économie planifiée, avait d'ailleurs dirigé l'Ouzbékistan soviétique, puis le pays indépendant.
Il aura fallu une campagne de boycott international du coton ouzbek pour que Tachkent renonce, dans les dernières années du règne de Karimov, au travail des enfants. Mais fonctionnaires et étudiants restaient contraints à la cueillette.
Si le nouveau président Mirzioïev, un ancien Premier ministre et gouverneur régional, semble vouloir supprimer ce système, les considérations économiques passent bien avant celles des droits humains.
Son objectif premier est une industrie cotonnière privatisée et capable de produire des textiles au lieu d'exporter la matière première. Pour cela, il a prévu la fin des quotas étatiques en 2023.
Le vice-ministre ouzbek du Travail, Erkin Moukhitdinov a lui promis des sanctions pénales en cas de recours à une main d'oeuvre forcée car « les investisseurs cherchent la qualité et la productivité. Si quelqu'un travaille contre sa volonté, il n'est pas productif ».
L'Organisation internationale du travail (OIT) a confirmé une baisse en 2018 de 50 pour cent du nombre des travailleurs forcés qui a atteint 170 000 personnes, soit environ 7 pour cent des 2,5 millions des cueilleurs mobilisés.
Autre « changement significatif », explique Jonas Astrup, un responsable de l'OIT en Ouzbékistan, plus « personne ne tente de nous cacher les choses ou à compliquer notre surveillance » du secteur. Enfin, l'organisation a constaté une hausse des revenus des saisonniers.
« Changement significatif »
Dans un champ de coton à 70 kilomètres de Tachkent dans le village de Boyovul, les travailleurs interrogées par les journalistes de l'AFP en octobre se gardaient de critiquer le système du défunt Karimov, toujours révéré comme le père de la Nation, mais ils ont corroboré des améliorations notables des conditions.
Entre la saison 2018 et celle de 2019, leur rémunération a augmenté de 15 pour cent et des abattements fiscaux ont été introduits.
« Avant on récoltait pour manger, maintenant on peut mettre de côté », relève Lobar Tochpoulatova, 30 ans, saisissant des boules blanches sur des arbustes. En quatre semaines, elle dit avoir gagné l'équivalent de 200 euros, dans un pays où le salaire moyen officiel est de 150 euros mensuels environ.
Avec l'argent économisé, la jeune femme compte acheter sa première machine à laver.
Autre changement, cette fois-ci à l'international, la fin du travail des enfants, a conduit en mars le gouvernement américain à retirer le coton ouzbek d'une liste de marchandises interdites.
Néanmoins, des ONG et une partie de l'industrie du textile se montrent prudents, tant l'Ouzbékistan a une réputation catastrophique concernant les droits humains.
Le coton ouzbek reste ainsi boycotté par près de 300 entreprises signataires d'un engagement contre le travail forcé, notamment les géants Adidas et Walmart.
Pour Oumida Niazova, directrice du Forum pour les droits humains, une association basée à Berlin, la fin des quotas d'Etat est « essentielle » pour mettre fin au travail forcé. Mais elle s'interroge : pourquoi attendre 2023 « alors que les droits des populations sont en jeu ? » (AFP)
Photo : Chaire Lectra-Escp Europe.