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Daniel Harari: "Nous sommes à la veille d’une révolution dans la manière dont la mode est conçue, fabriquée et distribuée”

Par Herve Dewintre

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Le grand défi de la mode pour les décennies à venir concernera la gestion des stocks. Ce défi est complexe, il existe deux façons de gérer les invendus : les soldes ou la destruction des stocks. Cette destruction des stocks, écologie oblige, n’est plus considérée comme une solution satisfaisante désormais, elle le sera de moins en moins à l’avenir. On se retrouve donc face à un paradoxe : l’envie d’immédiateté des consommateurs, avec des collections de plus en plus nombreuses et éphémères, et un désir chez ce même consommateur de favoriser une mode éco-responsable. En face, nous avons des marques qui ont le choix entre détruire ou galvauder leur marchandise en cas d’invendus.

Face à ce défi, la possibilité de mettre en place une mode à la demande n’est plus une utopie. Elle apparaît même pour certains experts comme une révolution en marche. C’est du moins l’enseignement que l’on tire de la table ronde organisée fin mai par la Chaire Lectra ESCP Europe « Mode et Technologie ». Valerie Moatti qui animait ce débat, a dressé à cette occasion un constat préalable parfaitement clair : « De nombreux experts pensent que la mode est arrivée au bout d’un modèle où l’on fabrique pour vendre et accumule les stocks, générant de multiples problèmes économiques, écologiques et sociaux. Le besoin de reconsidérer ce modèle et de remettre en question l’intégralité de la supply chain est aujourd’hui fondamental ».

« Le vêtement va devenir un fichier numérique »

Maxime Coupez, directeur innovation strategy Businesse au sein de l’agence FaberNovel est d’accord avec ce constat : « la mode à la demande apparaît comme un concept privilégié pour adapter en temps réel la production aux besoins des clients. Cette dernière doit pour cela devenir plus rapide et réactive, ce qui implique une remise en question profonde des schémas existants. » L’expert cite le coup d’éclat initié par Amazon en 2017 avec le dépôt d’un brevet pour automatiser la fabrication de vêtements basiques : « Pour cette entreprise dont la grande force est la logistique, la mode à la demande présente plusieurs avantages : réduire les espaces de stockage, en finir avec les problèmes de gestion du mix produit et offrir au client un inventaire encore plus grand. Si Fulfillment by Amazon est aujourd’hui proposé aux marques pour vendre et livrer leurs produits, ce service pourrait un jour s’étendre à la production elle-même, à partir des créations dématérialisées des marques. » En somme, conclut l’expert, « La mode à la demande ouvre la voie à des marques totalement virtuelles où le vêtement deviendrait un fichier numérique, d’autres entreprises se chargeant de la production. »

Développer des collections paramétrables

Certaines jeunes marques ont déjà pris en compte ce paradigme dans leurs stratégies respectives. Ainsi Mue Store, fondée par Prunelle Brault, propose une collection assortie d’options de customisation. La cliente choisit une pièce et crée son compte sur l’application Mue-Mesure, où ses informations permettront de fabriquer le vêtement à partir d’un patron automatiquement adapté à sa morphologie et à ses choix stylistiques. La fabrication en France permet de recevoir le vêtement en moins de deux semaines. Co-fondée par Hélène Timsit, la marque Mazarine mène quant à elle deux stratégies en parallèle à la customisation, des variations proposées sur des tailles standard avec le choix entre plusieurs matières et détails (cols, poignets, poches et longueurs) et le wholesale, des collections vendues à des boutiques multi-marques selon un modèle plus classique de production à la commande qui permet de préserver la trésorerie et de produire sans gâchis.

« Pour qu’une marque soit désirable, il faut qu’elle ait une identité. En décidant de ne pas multiplier les options à l’infini, Mazarine garde une cohérence de collection » affirme Hélène Timsit. Les premières ventes ont montré les limites du modèle de customisation à l’échelle artisanale, notamment au niveau de la gestion des pics de production et des phases de creux. Pour lisser les commandes tout au long de l’année, Mazarine a travaillé son interface digitale 3D, en collaboration avec Miximaliste. La digitalisation du patronage combine réalité virtuelle et réalité augmentée pour une visualisation très réaliste du vêtement, avec un scan matières pour l’animer de manière extrêmement précise.

La société Lectra a quant à elle développé un nouveau programme, à la fois pour ses clients qui proposaient déjà des produits sur-mesure ou personnalisés mais de façon industrielle, mais aussi pour des clients qui souhaitent se lancer dans la personnalisation. Baptisée Fashion on Demand by Lectra, cette offre qui a demandé des investissements en recherche considérable (30 millions d’euros de R&D souligne Lectra, soit le plus grand investissement en R&D de la société) permet de développer des collections paramétrables, qui peuvent s’adapter aux mesures et aux choix des clients et à leur morphologie. Ces nouveaux outils, affirme Lectra, ont d’emblée été adoptés par des grandes marques.

En ce qui concerne la production, Daniel Harari, Président Directeur Général de Lectra, insiste sur l’expertise élevée des sous-traitants européens qui devrait leur permettre de se spécialiser dans ce type de fabrication. La mode à la demande n’entraînera pas de relocalisation de la production vers l’Europe, mais plutôt une mutation des produits qui y sont fabriqués, avec une meilleure répartition des marges entre les différents acteurs affirme le PDG de Lectra qui précise également : « Nous sommes à la veille d’une révolution dans la manière dont la mode est conçue, fabriquée et distribuée. Avec le déploiement de l’Industrie 4.0, la montée en gamme de la production en Chine et l’émergence de nouveaux modèles économiques, comme la mode à la demande, personnalisée et sans stocks, une tendance lourde se dégage. Jusqu’à présent, les marques ont dominé le rapport de forces au sein de la supply chain. Désormais, les fabricants cadencent les négociations. C’est un changement total de paradigme. »

Crédit photo: Fashion on demand by Lectra, dr

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