Danemark : les éleveurs de visons face à la disparition de leur filière
loading...
Copenhague - Certains ont vu leurs bêtes “massacrées”, d’autres résistent encore avant de les abattre: au Danemark, les éleveurs de visons vivent des heures noires depuis l’ordre controversé d’éliminer leurs millions d’animaux pour cause de mutation du coronavirus.
Samedi, les éleveurs mécontents et leurs soutiens prévoient de manifester, tracteurs à l’appui, dans les deux plus grandes villes du pays, Copenhague et Aarhus.
“Nous sommes en état de choc”, résume Marianne Nørgaard Sørensen. “Les mots ne peuvent pas décrire le cauchemar qu’on traverse”, dit-elle à l’AFP. Mariée à un éleveur qui consacre son activité aux visons depuis 1993, cette institutrice de 46 ans habite dans le Jutland du Nord, la région du nord-ouest du pays qui concentre le plus d’élevages. Comme des millions d’autres, leurs 27.000 bêtes ont été euthanasiées en urgence, début novembre.
“Nous avons écrit à l’autorité vétérinaire pour demander deux jours de plus mais ils ont débarqué (…) et ils ont pris les choses en main. C’était très dur, la vidéo du massacre s’est retrouvée en ligne. Si seulement on avait eu deux jours de plus, on aurait pu le faire de manière humaine”, raconte-t-elle.
Fiasco politique
Le Danemark est depuis des décennies l’improbable pays roi du vison: avec trois fois plus de bêtes que d’habitants, le petit royaume nordique en est le premier exportateur mondial, pour un total de 670 millions d’euros, et deuxième producteur derrière la Chine.
Or l’animal prisé des fourrures de luxe pose des problèmes dans la lutte contre le Covid-19: on sait depuis quelques mois qu’il peut non seulement contracter la maladie, mais aussi réinfecter l’homme.
Début novembre, le gouvernement danois a ordonné, sur un ton alarmiste, l’abattage de la totalité du cheptel de 15 à 17 millions de bêtes, à cause d’une mutation du nouveau coronavirus pouvant potentiellement menacer l’efficacité d’un futur vaccin humain, même si une grande incertitude demeure sur ce point.
L’exécutif venait d’apprendre que cette souche, nommée “Cluster 5”, avait été décelée chez 12 personnes en août et septembre dans le Jutland du Nord, décrétant en conséquence de strictes restrictions locales de déplacement. Depuis, aucun nouveau cas. Jeudi, les restrictions ont finalement été levées et les autorités considèrent que la souche est “très probablement éteinte”.
A Copenhague, l’affaire a tourné au fiasco politique: le gouvernement a dû reconnaître qu’il n’avait pas de base légale pour ordonner l’abattage des bêtes saines, entraînant la démission du ministre de l’Agriculture mercredi et des dégâts dans l’opinion.
L’abattage généralisé reste toutefois une mesure “non négociable” du fait d’autres possibles mutations, selon la Première ministre Mette Frederiksen. Le gouvernement compte faire adopter au Parlement un texte prévoyant l’interdiction de l’élevage de visons jusqu’au 1er janvier 2022.
Indemnisations insuffisantes
Malgré tout cela, dans un autre coin du Jutland, Erik Vammen garde lui encore ses bêtes en vie, quitte à ne pas toucher les primes prévues en cas d’abattage rapide.
“La nuit, quand je vois la lumière d’un véhicule qui s’approche, j’ai peur”, confie le sexagénaire qui a hérité l’élevage de son père et son grand-père. Pas de contamination chez lui ni dans son voisinage, il n’est pas - encore
en première ligne. Mais il ne se fait aucune illusion: “si je ne les tue pas, ils vont venir le faire à ma place”. Pour lui, les indemnisations ne sont pas suffisantes. Et comment faire confiance en des autorités qui décrètent des mesures sans fondement légal?, s’agace l’éleveur.
Même si l’activité redevenait possible en 2022, peu croient en sa renaissance: il faudrait plus de dix ans pour reconstituer des cheptels avec une fourrure de qualité. “Il n’y a aucun espoir de futur”, se désespère Marianne Nørgaard Sørensen. La principale maison de négoce Kopenhagen Fur prévoit d’ailleurs une “fermeture contrôlée” de deux-trois ans.
Le malheur de la filière fait toutefois le bonheur des associations de protection des animaux, qui dénoncent depuis des années ce qu’elles considèrent comme un élevage cruel et inutile. “Je crois qu’on ne verra jamais plus d’élevages de visons au Danemark”, juge Joh Vinding, directeur de l’ONG Anima. (AFP)
Crédit : Unsplash