Certification éthique : « Sans prix minimum, vous pouvez jeter aux orties vos prétentions environnementales »
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Gérant un label éthique, l’association Max Havelaar organise une opération militante dans plusieurs villes alors que le parlement européen s’apprête à voter une directive sur le devoir de vigilance des multinationales.
Cofondée par le prêtre ouvrier Frans van der Hoff aux Pays-Bas en 1988, l’association Max Havelaar – branche de l’association Fairtrade International – gère et promeut le label international de droit privé « Fairtrade- Max Havelaar » qui est aujourd’hui apposé sur des produits de nombreuses marques. Ce label citoyen, présent dans 35 pays consommateurs, vise à permettre, du côté des pays producteurs, l’accès à un prix minimum garanti. Du coté des pays consommateurs, il vise à répondre à une demande croissante des consommateurs en produits de qualité, identifiés géographiquement dans le cadre d’une production respectueuse de l’environnement.
Alors que le Parlement européen s’apprête à voter deux textes qui peuvent, selon l’association, avoir un impact considérable sur le secteur textile, Max Havelaar France (fondé en 1992) s’est unie avec Fashion Révolution pour organiser ce 25 avril une opération militante à Paris, devant l’hôtel de Ville et dans différentes villes européennes. Objectif : encourager les eurodéputés à responsabiliser les entreprises sur les droits humains et l’environnement en introduisant des exigences rigoureuses. À cette occasion, nous nous sommes entretenus avec Blaise Desbordes, ancien directeur du développement durable de la Caisse des dépôts, qui dirige la branche française de l’association depuis 6 ans.
FashionUnited : comment peut-on présenter le label proposé par Max Havelaar en quelques mots ?
Blaise Desbordes : Le label Fairtrade -Max Havelaar s’est imposé comme une référence au cours de ses 30 années d’activité. Il est apposé sur 80 pour cent des produits équitables en France, notamment dans le café, le thé, le sucre, la banane, le cacao. Il agit comme un moteur de transformation à travers une certification qui, je crois, a plus d’efficacité que les réglementations parce qu’elle part du principe que les entreprises s’engagent dans une démarche volontaire. 4000 entreprises dans le monde – multinationales ou PME - nous ont choisi. On travaille également avec plusieurs centaines de PME françaises : des entreprises de toutes tailles, comprenant l’intérêt d’une certification éthique. Je pense modestement qu’on apporte une réponse aux impasses de la mondialisation en construisant des chaines d’approvisionnements qui sont rigoureusement contrôlées.
Les PME françaises spécialisées dans le textile s’intéressent à votre label ?
Une trentaine de PME françaises spécialisées dans le textile nous ont choisi, notamment des entreprises spécialisées dans le vêtement de travail qui veulent faire l’avoir les atouts d’un coton équitable. D’une manière générale, on se rend compte que les problématiques liées il y a 30 ans à la maltraitance des petits producteurs dans le secteur de l’alimentation et de l’agriculture se transfèrent complètement aujourd’hui dans le secteur du textile. Ce secteur, il faut le rappeler est responsable d’une part significative des eaux polluées dans le monde par exemple. Le textile a besoin de solutions, notamment pour résoudre l’opacité des supply chains et pour combattre l’uberisation galopante de l’activité.
Quel est le but et la philosophie de votre label concernant le coton équitable ?
C’est exactement comme pour les autres denrées que nous certifions, tels que le café ou la banane dans la filière équitable. Il s’agit d’une part, de protéger les petits producteurs pour qu’ils puissent s’organiser collectivement. C’est la première condition de notre cahier des charges. D’autre part, il faut payer un prix minimum aux producteurs. Sans ce prix minimum, vous pouvez jeter aux orties vos prétentions environnementales. Par exemple, on estime qu’au Bangladesh, le paiement à l’ouvrier d’une pièce de textile est de l’ordre de 1,5 centime. Les ouvriers dans le textile – et ils sont 4 millions de travailleurs - ont 80 dollars de revenus par mois alors que leurs revenus vitaux se situent autour de 230 euros. C’est un problème fondamental.
Vous organisez une action de mobilisation militante ce 25 avril dans plusieurs villes européennes. Pourquoi cette date ?
Le Parlement européen va voter deux textes qui peuvent avoir un impact considérable sur le secteur textile. Je voudrais signaler en préambule, que des pays ont ouvert la voie et la France en fait partie. Ces pays sont passés à l’acte. Ils disent : on ne peut pas avoir des économies modernes qui ferment les yeux sur une responsabilité générale. Comme vous le savez, le donneur d’ordre est celui qui a le plus de pouvoir dans une chaine d’approvisionnement. Cette responsabilité est diluée par un nombre conséquent de sous-contrats et autant d’intermédiaires. La loi française sur le devoir de vigilance des multinationales dites loi Potier, votée en 2017, grâce à une très large concertation notamment avec les industriels, a pavé le chemin. Elle prône une responsabilité tout au long de la chaine.
La directive qui sera votée ces jours-ci est un peu l’enfant de ces lois pionnières, avec une volonté d’harmonisation au niveau européen. Concrètement, le parlement européen votera demain en commission juridique ce qu’il pense devoir être nécessaire en ce qui concerne ce devoir de vigilance. On pense que l’avis du parlement sera à la hauteur des ambitions manifestées par la présidente Ursula von der Leyen qui a tout de même déclaré il y a six mois qu’elle voulait bannir le travail forcé du marché européen.
L’Europe creuse-t-elle l’écart en matière de durabilité ?
Les exigences sont élevées comme le prouvent les récentes lois, extrêmement innovantes, passées sur le climat mais également les directives visant à réduire la déforestation et la dégradation des forêts. Cette nouvelle directive sur le devoir de vigilance des multinationales constituerait une nouvelle étape extrêmement bienvenue. Soyons clair : tout cela forme une économie très compétitive. Garantir les moyens de subsistance aux échelons vulnérables ne compromet pas les marges des entreprises.
Le donneur d’ordre est celui qui a le plus de pouvoir dans la chaine d’approvisionnement mais le client n’a-t-il pas également un rôle à jouer ?
Vous avez raison, et le secteur textile a un atout : les consommateurs qui s’intéressent vivement à ce sujet. 70 pour cent des consommateurs veulent une certification éthique. Le faux ami est d’ordre technique : c’est difficile aujourd’hui de comprendre ce qui est durable et ce qui ne l’est pas. Les labels internationaux indépendants sont le bon outil pour jouer ce rôle d’intercesseur.