Brunello Cucinelli, entrepreneur italien mécène en son village
loading...
Brunello Cucinelli, roi du cachemire made in Italy, est aussi volontiers philosophe ou mécène en son pays, avec le souci de la "grande bellezza", de préserver la beauté du monde, sous toutes ses formes.
Il s'est bâti une solide réputation d'entrepreneur "social" à l'écoute de ses salariés, mais aussi de chef d'entreprise à l'origine d'une vraie réussite commerciale. Ses employés ont l'interdiction de travailler après 17H30 (16H30 GMT), et pas question de lire ses emails en dehors des heures de bureau. "Pourquoi devrait-on ? On travaille déjà trop et on est trop connecté", explique-t-il à l'AFP depuis le siège social de sa société à Solomeo, en Ombrie, dans le centre de l'Italie, dans un paysage majestueux de collines et de montagnes.
Le déjeuner à la cantine dure au moins 90 minutes, le temps pour qui veut d'aller faire une sieste, après un repas élaboré avec des produits locaux, voire issus du potager de l'usine. Et quand on lui demande pourquoi il a investi dans des parois de verre pour bâtir les murs de son usine, il cite volontiers le philosophe français Jean-Jacques Rousseau pour qui la proximité avec la Création engendre la créativité.
Brunello Cucinelli, 63 ans, et dont l'entreprise réalise quelque 450 millions d'euros de chiffre d'affaires en vendant vêtements et produits de luxe, a aussi dépensé des millions à Solomeo, son village natal, bourg médiéval à flanc de colline. Il a d'abord fait rénover le château et pendant les 30 années suivantes a ajouté un théâtre, une bibliothèque et une école d'art et de botanique.
Made in Italy
Aujourd'hui, il s'attaque à la périphérie. "Particulièrement en Italie, mais c'est vrai aussi pour une grande partie de l'Europe, les centres historiques de nos cités ont en général été bien traités et rénovés", explique-t-il. "Mais les choses ne se sont pas aussi bien passées dans nos périphéries, et pourtant. Nous devons en faire des espaces vivables reliés aux centres historiques".
A la périphérie de Solomeo, des bâtiments industriels ont été détruits pour laisser place à de nouvelles unités de production pour sa société ainsi qu'à deux parcs, l'un de six hectares pour les enfants avec jeux et terrains de sport, un autre de quelque 70 hectares dédiés à la production de fruits et légumes, et même de blé.
"Quand nous avons démarré la rénovation de Solomeo en 1985 je me suis inspiré de quelque chose que Rousseau a dit sur la nécessité de s'éloigner des villes, de revenir à nos villages", raconte l'homme d'affaires. Cucinelli importe toute sa matière première, de la laine de cachemire, de Chine ou de Mongolie, mais à l'inverse de beaucoup de ses concurrents, toute sa production est basée en Italie. Et n'en déplaise aux actionnaires, présents à son capital depuis 2012, ses employés sont payés en moyenne 20 pour cent de plus que leurs collègues dans d'autres industries textiles.
L'éthique de cette société et ses racines locales sont des éléments importants pour une marque qui a quadruplé ses ventes en dix ans. Son fondateur ne se voit pas en révolutionnaire du capitalisme mais simplement comme un chef d'entreprise cherchant à lui donner un visage plus humain, ce qui est selon lui de plus en plus urgent à réaliser face à la masse des déçus de la mondialisation.
"Il est parfaitement exact de dire que de nombreuses personnes se sentent oubliées", estime-t-il dans une allusion au vote en faveur du Brexit en Grande-Bretagne ou à l'élection de Donald Trump aux Etats-Unis. "Internet a redessiné la carte du monde du travail. L'Italie ou l'Europe ne sont plus compétitifs pour certaines activités et cela a créé du chômage, mais le vrai problème, c'est la dignité", juge ce fils de paysan devenu ensuite ouvrier.
"On ne peut pas avoir des entreprises qui gagnent des sommes incroyables pendant que nos employés touchent des salaires ridicules pour travailler douze heures par jour à regarder un mur sous une ampoule électrique". (AFP)
Photos: Solomeo, Courtesy of Brunello Cucinelli