Bernard Arnault parle de montres connectées, de « bien-pensance » et d’extrême-gauche
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Ce jeudi, il régnait une ambiance fiévreuse au Carrousel du Louvre, au sous-sol, dans l’une de ces grandes salles qui, il y a quelques saisons encore, accueillait les plus grands défilés de mode de la Capitale. Aujourd’hui le show est d’une tout autre nature puisqu’il s’agit de l’assemblée générale annuelle d’une entreprise du CAC 40. La première assemblée générale de cette saison 2016. L’entreprise en question est LVMH.
Tout sourire, parfois corrosif, Bernard Arnault a donc tenu en haleine une assemblée d’actionnaires charmés par la résistance du groupe face aux diverses intempéries qui secouent la planète luxe. Une résistance qui s’expliquent par la nature diversifiée des activités du groupe (qui est présent sur des segments différents : mode, maroquinerie, parfums, vins, spiritueux, montres, joaillerie, distribution sélective) ainsi que par leur excellente répartition géographique.
Le pôle Mode et Maroquinerie déçoit un peu
Quelques jours auparavant, le groupe de Bernard Arnault avait publié ses résultats pour le début de l’année : des résultats qui avaient été jugés un peu décevant par rapport aux attentes des analystes financiers ( le CA n’a augmenté que de 3 pour cent, quand les analystes attendaient 4 pour cent), mais qui, somme tout n’avaient rien de catastrophique.
Certes, l’activité mode et maroquinerie a un peu déçu puisqu’elle a stagné alors qu’on s’attendait à une évolution plus réjouissante – cette stagnation a été imputé notamment à la marque Donna Karan qui a arrêté deux lignes de produits importantes – mais ce ralentissement observé n’est pas inhérent à LVMH puisqu’il est observé sur l’ensemble du secteur. C’est en fait, surtout la France qui est affectée à cause des attentats de novembre dernier.
Par contre, les autres pôles du groupe affichent un superbe dynamisme. Le pôle vins et spiritueux peut s’enorgueillir d’une croissance organique remarquable grâce au Champagne et au Cognac. Le pôle montres et joaillerie se défend vaillamment ainsi que le pôle beauté grâce au succès des parfums Dior. Un portefeuille de marques puissantes, un marché du luxe en croissance continue, un bilan solide, voir même très solide : LVMH justifie pleinement son statut de numéro 1 mondial du luxe, et peut envisager avec aisance la possibilité d’accélérer son développement avec de nouvelles acquisitions. Le groupe a d’ailleurs affirmé récemment son intérêt pour l’innovation et la technologie en étant partenaire de la première édition de Viva Technology, un salon qui réunira en juillet plus de 5000 start-ups.
Ce jeudi, l’assemblée générale n’était pas seulement l’occasion de confirmer la bonne santé du groupe mais aussi de saisir l’état d’esprit de son puissant patron. Cet état d’esprit est visiblement excellent. Fidèle à sa réputation d’homme de produits, Bernard Arnault arborait, à la grande joie de l’assistance, une montre Tag Heuer (qui appartient comme de bien entendu à LVMH) : une Tag Heuer d’un genre particulier puisqu’il s’agissait d’une montre connectée : un modèle développé avec Intel Google l’année dernière. Une manière comme une autre d’affirmer l’appétence naturelle d’LVMH à la fois pour l’innovation, pour la tradition (horlogère en l’occurrence) et pour la qualité inhérente au luxe. Un groupe connecté au futur en somme.
L’exposé, teinté d’humour, de la stratégie du groupe était de la même veine: « «la stratégie du groupe est toujours identique ce qui peut être un peu ennuyeux, voire déceptif dans ce genre de réunion ! Mais c'est cette continuité, basée sur la créativité et l'innovation, qui explique le succès de cette stratégie.» Habituellement réservé sur les chiffres d'affaires des marques du groupe LVMH, Bernard Arnault a pourtant insisté cette fois-ci sur les superbes résultats de Dior qui « pourrait dépasser 5 milliards de volume d'affaires dans le monde. » On apprenait également que le chantier de la Samaritaine serait terminé en 2018 tandis que le magasin parisien Franck & Fils allait, lui, être fermé pour devenir une Grande Epicerie.
«On est l'objet de critiques de la part de groupes d'extrême gauche»
Pourtant, contre toute attente, ce qu’on retiendra peut être de cette assemblée générale, c’est la sortie de Bernard Arnault contre ce qu’il nomme « l’extrême gauche ». Bernard Arnault est interrogé par un actionnaire sur le film « Merci Patron », un documentaire qui décrit le combat d'un couple licencié par une société qui a délocalisé sa production en Pologne ; une société, est-il utile de le préciser, qui appartient à Bernard Arnault. Ce documentaire à charge, aux méthodes contestables, mais à la fois terriblement drôle et insolent, a obtenu un honorable succès en salle (220000 spectateurs) et continue de faire beaucoup de bruits : l’édition international du New York Times vient même de consacrer sa une du 12 avril au film réalisé par François Ruffin en titrant « Un film devient un cri de ralliement français ».
Dans sa réponse, le patron de LVMH n’y alla pas par quatre chemins : "Il est difficile de donner un avis sur le film car je ne l'ai pas vu", puis ajouta t’il dans une longue tirade que nous reproduisons in extenso: « Depuis de nombreuses années, une vingtaine d'années, on est l'objet de critiques de la part de groupes d'extrême gauche. On est habitués à ce genre de critiques. Le groupe LVMH est l'illustration, l'incarnation de ce que, pour ces observateurs d'extrême gauche, l'économie libérale produit de pire ».
« Nous avons tous les défauts : d'abord nous sommes une grosse entreprise du CAC 40, nous avons de bons résultats, ce qui aggrave notre cas, nous embauchons du personnel, en France en plus et à long terme. C'est épouvantable. Lorsque je suis arrivé à la tête du groupe, nous étions 20 000, et nous sommes 120 000 maintenant. Enfin, nous sommes l'illustration des bienfaits de la mondialisation pour la France, c'est la catastrophe totale. Nous représentons vraiment le contre-exemple, pour ces petites organisations d'extrême gauche, qu'il faut, à défaut d'abattre, critiquer par tous moyens. C'est sans doute en plus, en ce moment, relayé par une presse bien-pensante, de gauche, qui, voyant l'échec de la politique économique traditionnelle de la gauche et le fait que le gouvernement, à juste titre, s'oriente maintenant vers une version libérale, se jette là-dessus en essayant de mettre en avant ce type de mouvement. » L’année 2016 sera politique ou ne sera pas.