Baromètre réglementaire — Textile européen : Euratex sonne l’alarme et appelle à une stratégie industrielle d’urgence
Le secteur textile et habillement européen, qui compte 192 000 entreprises et 1,3 million de salariés pour un chiffre d’affaires annuel de 167 milliards d’euros, alerte sur une perte imminente de compétitivité.
Dans un communiqué conjoint publié à Bruxelles le 11 novembre 2025, Euratex (fédération européenne des employeurs du textile) et IndustriAll Europe (syndicat représentant les salariés du secteur) appellent la Commission européenne à adopter une stratégie industrielle urgente.
Selon les deux organisations, sans action rapide, l’Europe risque de perdre son savoir-faire industriel, des milliers d’emplois qualifiés et une place stratégique dans la chaîne de valeur mondiale — fragilisée à la fois par les modèles de fast fashion et par la complexité de la double transition verte et numérique.
« Nous avons besoin d’une stratégie industrielle européenne plus affirmée, qui investisse massivement dans l’innovation tout en protégeant notre économie d’une concurrence mondiale déloyale », déclare Dirk Vantyghem, directeur général d’Euratex.
Un appel à une politique industrielle « fit for purpose »
Le texte, signé le 16 octobre 2025, formule six priorités destinées à replacer le textile au cœur de la stratégie industrielle européenne :
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Rétablir des conditions de concurrence équitables face aux modèles d’ultra-fast fashion fondés sur des salaires très bas et des pratiques sociales douteuses.
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Stimuler la demande de produits durables et éthiques, grâce à des incitations ciblées et à des campagnes de sensibilisation pour les consommateurs européens.
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Assurer un accès abordable à l’énergie pour les entreprises, en particulier les PME, afin de réussir une transition énergétique juste.
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Garantir la transparence des produits via une mise en œuvre pragmatique du Digital Product Passport et du règlement sur l’écoconception, adaptée aux capacités des PME.
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Investir massivement dans les compétences, en intégrant la durabilité et la numérisation dans les formations professionnelles (VET) et en soutenant l’apprentissage.
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Coordonner les politiques nationales et régionales pour que la transition verte et digitale soit « juste » et n’exclue aucun acteur.
Une alerte sociale autant qu’économique
Au-delà de la compétitivité, le communiqué met l’accent sur la dimension sociale de la transformation en cours. Les partenaires sociaux réclament que la transformation du textile se fasse sans sacrifier les emplois existants, ni transférer la valeur ajoutée hors d’Europe.
Le dialogue social et la négociation collective sont présentés comme les clés d’un ajustement réussi, à la fois pour accompagner la montée en compétences des salariés et préserver la compétitivité des entreprises.
L’appel d’Euratex et d’IndustriAll illustre la tension majeure entre ambition climatique et réalité industrielle. À mesure que Bruxelles renforce son arsenal réglementaire (écoconception, passeport produit, responsabilité élargie du producteur), les industriels redoutent une asymétrie de concurrence avec les acteurs asiatiques — notamment Shein et Temu — peu soumis à ces contraintes.
Le signal envoyé par cette crise est double. D'une part, il s'adresse aux pouvoirs publics, les pressant d'adapter le calendrier et les outils de la transition afin de ne pas asphyxier les PME. D'autre part, il interpelle les marques européennes : elles doivent investir sans attendre dans l’innovation matière, le recyclage et la traçabilité, avant que le marché ne se réorganise autour d’acteurs extra-européens.
L'Europe jugée « sans trajectoire » industrielle textile
Si le secteur ne remet pas en cause les objectifs environnementaux du Pacte vert, il dénonce une transition « sans trajectoire », pilotée sans feuille de route industrielle. Contrairement à l’automobile ou à la filière batteries, le textile européen n’a bénéficié d’aucun plan d’investissement, ni d’un soutien ciblé pour accompagner ses PME dans la mutation écologique et numérique.
Euratex et IndustriAll pointent le risque d’un déséquilibre : à force de multiplier les réglementations sans politique d’investissement équivalente, l’Europe fragilise ses propres entreprises. Selon Euratex, le prix moyen du mégawattheure pour l’industrie textile reste 2,5 fois plus élevé qu’en Asie, freinant la compétitivité et dissuadant les investissements.
« Sans mesures d’accompagnement, la transition écologique risque de se transformer en destruction industrielle », alerte un représentant d’IndustriAll. Les deux organisations plaident pour un « Pacte industriel européen du textile », combinant aides à la modernisation, fonds dédiés à la formation, et mécanismes anti-dumping sur les importations à bas coût.
Le point à surveiller
La mise en œuvre du Digital Product Passport en 2026 constituera un test majeur. Entre opportunité de transparence et charge administrative, il pourrait devenir soit un outil de compétitivité verte, soit un handicap supplémentaire pour les PME européennes.
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