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Affaire Epstein : dans la mode aussi

Par Herve Dewintre

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L’affaire Harvey Weinstein a déclenché un mouvement sociétal dont la force n’a que peu faibli durant ces deux dernières années (le scandale a éclaté fin 2017). Le flux continu de témoignages accablants drainés quotidiennement par les médias et les réseaux sociaux prouvent la vigueur du mouvement. Ces témoignages, il faut le noter, sont des allégations. Ils proviennent pour l’instant de victimes présumées. Présumées, le mot est important. Aucun procès n’a encore eu lieu et aucun jugement n’a été rendu. C’est le cas pour l’affaire Weinstein, c’est aussi le cas pour la plupart des personnalités du milieu de la mode qui ont récemment été accusés de harcèlement sexuel. A notre connaissance, aucun jugement n’a été rendu dans les affaires concernant les photographes Mario Testino, Bruce Weber (qui nie vigoureusement) et Terry Richardson.

Si aucun jugement n’a été rendu, cela signifie-t-il que rien n’a changé ? Surement pas : tout d’abord, les personnalités incriminées ne travaillent plus. Malgré l’absence de verdicts, Mario Testino, Bruce Weber et Terry Richardson sont mis sur le banc de touche. Ensuite, l’échelle des valeurs s’est modifiée : au règne de porno chic, en vogue dans les premières années du siècle, se sont superposées les notions désormais essentielles d’empowerment, de déconstruction, d’inclusion et de féminisme. L’antique adage : « soit belle et tais toi » a été pulvérisé. Toutes les marques de mode doivent adapter leur essence à cette nouvelle échelle de valeurs. Cette échelle est parfois glissante. Il a ainsi suffi à Hedi Slimane de faire un défilé jugé trop sexy pour que le créateur soit taxé (principalement par les journalistes anglosaxons) de misogynie déplacée. Pour certains, Hedi Slimane était purement et simplement le « Donald Trump de la mode ». Des changements ont donc eu lieu. Il faut néanmoins constater que l’ensemble des verdicts était jusqu’ici rendu par l’opinion publique et non par les tribunaux. L’affaire Jeffrey Epstein va changer la donne. Voici pourquoi.

Les personnalités de la mode liées à Jeffrey Epstein sous le feu des projecteurs

Le financier milliardaire Jeffrey Epstein a été retrouvé mort dans sa cellule ce 10 août après son arrestation le 8 juillet dernier. Les premiers éléments de l’enquête indiquent qu’il s’agit d’un suicide. Ce suicide, avec toutes les irrégularités qu’il comporte, trouble profondément l’opinion publique. L’acte d’accusation porté contre ce financier milliardaire était grave : trafic sexuel de mineures. Certaines avaient quatorze ans au moment des faits, le Daily Telegraph parle de filles de douze ans. Cette sordide affaire de mœurs électrise l’Amérique, mais aussi l’Europe : en France, Marlène Schiappa, Secrétaire d’Etat à l’égalité entre les femmes et les hommes a demandé publiquement l’ouverture d’une enquête sur le sol français. La secrétaire d’Etat s’est aussitôt fait recadrer par la ministre de la Justice Nicole Belloubet qui a insisté sur le fait qu’une ouverture d’enquête ne pouvait pas émaner d’une demande gouvernementale, l’autorité judiciaire étant indépendante. Tout le monde s’accorde en revanche sur ce point : sans procès, les victimes présumées ne pourront pas réparer le préjudice subi.

Cette notion de réparation, somme toute fondamentale, est l’élément le plus important qui émerge de cette ténébreuse affaire. Depuis deux ans, il s’agissait avant tout de dénoncer, de libérer la parole dans une sorte de catharsis générale. Les allégations se suffisaient à elles-mêmes. En privant les victimes présumées d’un verdict, le suicide de Jeffrey Epstein soulève pourtant une vague de colère aux contours inédits. Cette vague d’indignation n’a plus soif de dénonciations, mais d’équité. Elle réclame cette fois un procès, non pas devant l’opinion publique, mais devant les tribunaux, seul lieu ou la justice effective est et doit être rendue.

Or, un homme mort ne peut être jugé. On peut s’attendre à une enquête américaine (un raid du FBI a eu lieu le 12 aout sur l’île privé du milliardaire, située aux Caraïbes) mais il faut le répéter : Jeffrey Epstein, mort ne pourra être jugé, il ne sera jamais déclaré coupable, faute de pouvoir se défendre. Que va-t-il donc se passer ? En quête de verdicts, l’opinion publique, les institutions judiciaires, les médias vont se tourner, vers les connaissances du milliardaire qui elles, sont bien vivantes et donc susceptibles d’être condamnées. Parmi ces connaissances, figurent des personnalités de premier plan du monde de la mode.

D’ores et déjà, quelques-unes de ces personnalités sont mises sous le feu des projecteurs. Le Figaro dans son édition d’aujourd’hui, mais aussi Marie Claire, sur son site internet, Le Huffington Post, Mediapart, Vanity Fair, pointent du doigt Leslie Wexner, patron de L Brand (société à laquelle appartient Victoria’s Secret) et surtout le français Jean-Luc Brunel. Cet agent de mannequin, accusé d’avoir été l’un des principaux pourvoyeurs du financier décédé est bien connu du milieu de la mode. Son agence MC2 est basée à Miami mais ce ne fut pas toujours le cas. Ce septuagénaire a en effet débuté à Paris, opérant à la tête de l’agence Karin Models où ses méthodes étaient sinon bien connues, du moins dénoncées depuis longtemps. En 1995, dans son livre Model : The Ugly Business of Beautiful Women (Mannequin, l’horrible commerce des belles femmes), le journaliste Michael Gross évoquait en ces termes l’agent français : « Son problème est qu'il sait exactement ce que les filles en difficulté recherchent. Jean-Luc aime la drogue et le viol silencieux. C’est ce qui l'excite. » avant de poursuivre par ces mots extraordinairement violents : « Il y avait un petit groupe, Jean-Luc, Patrick Gilles et Varsano... Ils étaient très connus à Paris pour parcourir les clubs. Ils invitaient des filles et mettaient de la drogue dans leurs boissons. Tout le monde savait qu’ils étaient louches ». Zoë Brock, mannequin australien installée à Paris dans les années 90 écrivait quant à elle, de manière très explicite, dans un article publié en 2017 : « Mon agent s'appelait Jean Luc Brunel. Il a essayé de coucher avec moi quand j'étais enfant. Il m'a donné de la drogue. Il est grand temps que cela se sache. »

En 2005, l’agent français fonde son agence américaine avec Jeffrey Muller. D’après Mediapart, Jeffrey Epstein investit alors 2 millions de dollars dans cette nouvelle entité qui est aujourd’hui accusée d’avoir utilisé sa position pour fournir des visas à des jeunes filles destinées à assouvir les besoins particuliers d’amis fortunés dont faisait partie Epstein. Ce qui nie Brunel malgré l’avalanche de témoignages concordants. Nous ne pouvons pas juger ni condamner. Nous pouvons néanmoins dresser ce petit résumé : les faits étaient publiquement dénoncés depuis 1995, ces dénonciations, à ce jour, n’ont débouché sur aucune condamnation. Ce qui tendrait à indiquer que : soit les allégations étaient infondées, soit que la justice n’a pas suivi son cours (ce qui parait invraisemblable même si on est adepte de la théorie du complot), soit que le temps de la justice est décidément très long (ce qui est plus probable), soit que des arrangements ont eu lieu. Nul doute que le suicide de Jeffrey Epstein va réveiller ou aviver les douleurs. Les dénonciations continuelles, dont l’opinion publique est repue depuis des mois, ne suffiront plus : sur les réseaux sociaux, les internautes dénoncent en effet l’hypocrisie de révélations connues depuis fort longtemps. Cette fois ci, il y a fort à parier que les plaignantes, soutenues par l’opinion publique, iront jusqu’au bout d’une procédure judiciaire qui sera examinée à la loupe. Dans quelques jours, la fashion week de New York démarrera non plus sous le signe du hashtag vindicatif mais sous le signe du glaive et de la balance.

Si vous ou un proche êtes victime de harcèlement ou de violences sexuelles, appelez le 3919. Si vous cherchez à joindre la police (17) mais que vous ne pouvez pas parler, composez le 114.

Photo : STEPHANIE KEITH / GETTY IMAGES NORTH AMERICA / AFP

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