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La mode est morte, vive Amazon

Par Herve Dewintre

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Retail

Pour tout le monde, Amazon c’est un libraire en ligne qui se signale régulièrement dans l’actualité par ses méthodes de management musclées et par les conditions de travail extrêmes imposées aux salariées ; conditions souvent qualifiées de darwiniennes, car faites pour écraser et briser les employés les plus faibles. Un libraire contesté au sein même du monde des libraires indépendants qui accusent ce géant américain de dévaster l’ensemble de la profession en détruisant, par la force de son monopole et à grands coups de prix cassés, un réseau complexe et subtil de petites librairies de quartier.

Depuis 2002, Amazon c’est aussi de la mode. Une activité modeste, largement secondaire au départ. Mais en 2007, Jeff Bezos, fondateur et patron d’Amazon eut un éclair : « Si nous voulons atteindre le 200 milliards de chiffre d’affaires, nous allons devoir apprendre à vendre des habits et de la nourriture ».

Première enseigne de vêtements aux Etats Unis en 2017

Vous avez bien lu : 200 milliards de chiffre d’affaires. Prétention démentielle d’un patron mégalomaniaque ? Pas forcement. Les succès éclatants de cette société attestent que les prétentions de son patron sont fondées. Actuellement, Amazon pèse 107 milliards de dollars de chiffre d’affaires, soit 94,8 milliards d’euros. Une hausse de 20 pour cent par rapport à 2014. A titre de comparaison, LVMH, réalise un chiffre d’affaire global de 35, 6 milliards d’euros - toutes marques confondues. Prenons un autre exemple : si on associe les chiffres d’affaires cumulés de H&M, Inditex (la maison mère de Zara), Gap et Fast Retailing (propriétaire d’Uniqlo), on obtient le montant suivant : 70 milliards d’euros.

Comparons un instant tous ces chiffres : ils nous disent clairement qu’Amazon, firme américaine basée à Seattle, fondée en 1994 par Jeff Bezos, 52 ans cette année, pèse aujourd’hui plus que les champions du luxe et de la fast fashion réunis. Cela donne une mesure des capacités d’investissements et de déstabilisations de cette firme, bien plus grosse que l’ensemble de ses concurrents potentiels rassemblés.

Autre donnée importante: le journal Le Monde rappelait en avril dernier que les analystes de la banque d’investissement Cowen jugeait comme acquis le fait suivant : Amazon va devenir en 2017 la première enseigne de vêtements aux Etats Unis. Les analystes stipulaient également qu’Amazon attendrait à cette date 27,7 milliards de dollars de chiffre d’affaire dans la mode, rien qu’aux Etats-Unis.

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Désormais, Amazon est « le magasin de tout ». Vêtements y compris. Si vous allez sur la page de garde du site, l’onglet Amazon Mode se détache avec beaucoup de visibilité sur la bannière du haut. On estime désormais que les vêtements et les accessoires de mode représentent 6 pour cent de l’ensemble du catalogue. 6 pour cent, ça semble peu mais à l’échelle d’Amazon, ça veut dire 30 millions de références tout de même. Un chiffre superbe, en progression fulgurante chaque année.

Pour vendre ses vêtements, Amazon va donc devoir combiner les savoir-faire traditionnels du secteur en matière de communication avec des techniques de pointes en matière de logistique. Lees savoir faire en matière de communication sont réels chez Amazon : il existe à new York un studio gigantesque, propriété d’Amazon, où un état major impressionnant de photographes, de mannequins, de stylistes et de maquilleurs s’activent à produire, chaque jour, un millier de clichés. La société produit également depuis mars une émission quotidienne consacrée à la mode. Enfin, cela n’aura échappé à personne, Amazon a sponsorisé les deux premières éditions de la fashion week masculine de New York.

La logistique est bien évidemment le point fort d’Amazon. La clé de son succès. La logistique déployée chez Amazon est puissante, efficace, audacieuse : la société investit dans les drones, dans l’impression 3D, posséde plusieurs milliers de camions semi-remorques siglés à son nom, met un pied discrètement dans le transport maritime (en accédant depuis janvier dernier au statut de transitaire via sa filiale chinoise), va certainement racheter l’intégralité de Colis Privé, et va bientôt disposer de sa propre flotte de Boeing 767 pour assurer elle même la distribution de ses produits afin de pallier aux déficiences éventuelles d’UPS et de Fedex. Les spécialistes en sont persuadés : Amazon veut devenir à moyen terme un concurrent direct d’UPS, de DHL et de Fedex auprès des particuliers et des entreprises.

Si Inditex et H&M sont devenus des géants en fournissant à leur clientèle des collections bon marché, sans cesse renouvelées en boutique, Amazon va plus loin puisqu’il fournit non seulement des références en constante évolution, mais qu’il permet aussi à ses clients de recevoir leur commandes, (frais de livraison offerts contre abonnement annuel) en un temps record. Les taux de retour sont évidemment nombreux. On estime à 15 pour cent le taux de retour d’un vêtement en magasin, et à 30 pour cent le taux de retour d’un vêtement acheté en ligne. Mais Amazon a deux avantages majeurs en ce domaine par rapport à ses concurrents physiques. Tout d’abord, il fournit toutes les tailles et toutes les couleurs (il est bien rare qu’un produit soit indisponible sur le site) et d’autre part, puisqu’il n’a pas de point de ventes physiques, il n’a pas non plus de frais liés au loyer. Cela ressemble à une vérité de la Palisse mais cet avantage concurrentiel décisif pèsera lourd dans la balance lorsque sera venu le temps de compter les morts.

Comme Amazon compte bientôt développer ses propres lignes lui aussi, on peut déjà imaginer les formidables répercussions sur le secteur de la mode. Que préfèreront les nouvelles générations de consommateurs ? Que préféreront les milleniums qui ont grandi avec un portable à la main ? Que préfèreront les jeunes qui ne supportent plus d’attendre ne seraient ce que quelques secondes pour obtenir une information ? Aller en boutique pour essayer les vêtements tendances à des prix accessibles, ou cliquez pour recevoir- le jour même - ces mêmes vêtements à des prix peut être encore plus bas, quitte à les renvoyer sans frais supplémentaires ? Bien heureux celui qui aura une réponse tranchée à cette question. En attendant, les chiffres disponibles sont la preuve irrécusable que les clients d’Amazon sont non seulement de plus en plus nombreux, mais aussi de plus en plus fidèles.

Jeff Bezos porte en lui quelque chose de double. Une contradiction à priori insurmontable, qui au fond caractérise le système de la mode actuel. D’un coté, le patron audacieux d’Amazon, qui voit sa fortune personnelle bondir de plusieurs milliards chaque année, a été classé 1er parmi les PDG les plus performants du monde par la sérieuse Harvard Business Review. Et d’un autre coté, la même année, cet entrepreneur astucieux mais inquiétant, a été élu « pire patron au monde » à l’issue d’un sondage mené par la confédération syndicale internationale, représentant 180 millions de travailleurs de 161 pays, lors de son troisième Congrès mondial. Les méthodes de jeff Bezos sont impressionnantes et terrifiantes à la fois. Personne ne peut douter qu’à terme, les consommateurs achèteront leurs fruits et légumes livrés dans l’heure chez Amazon, personne ne peut douter qu'Amazon réussira à s’imposer comme le champion mondial du transport, supplantant ainsi UPS et Fedex, personne ne peut douter qu'Amazon va devenir le maitre du « cloud ». Dans un futur pas si lointain, on peut même imaginer que tous les objets que nous fabriquerons chez nous, via l’imprimante 3D, seront commandés chez Amazon. La domination de cette entreprise sur le commerce mondial sera totale. Il est bien vrai que nous ne voulons plus attendre, que nous voulons tout, et tout de suite. Alors, l’élégance, en terme de mode, ne consistera peut être plus à posséder des vêtements au goût du jour, mais à savoir développer en nous-même des capacités d’écoute et de patience vis à vis de producteurs, de créateurs capables de nous délivrer des produits où l’intelligence de la main aura encore un sens.

Photo: Amazon website


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